Un fil autour du cou ou dissimulé sous les cheveux, et un petit engin - on dirait un appareil cardiovasculaire - attaché à la taille ou fourré dans la poche: l'image de l'adolescent tenu ainsi par ses nouvelles chaînes ne surprend plus.

Comment expliquer l'emprise de l'iPod ou du MP3 sur les jeunes? Certaines raisons sont apparentes, d'autres sont dignes de nous mettre la puce à l'oreille.

Certes, il y a la frime, le coolisme, la magie de l'électronique à la pointe, mais ce qui attire surtout, c'est la musique. Elle se fait intime, confidente, accompagnatrice. Elle remplit si bien son rôle d'«invitation au voyage» pour l'adolescent mal dans sa peau. Si le rythme du rap ou du hip-hop emporte dans une transe discrète, les mots, eux, dorlotent là où les questions sont restées sans réponses.

En somme, les thèmes touchent l'auditeur dans son angoisse, nourrissent ses rêves et soignent ses blessures face à un monde adulte qu'il juge loin, impuissant, hypocrite, égoïste et injuste. Il s'agit moins de mélomanie que de mélothérapie inconsciente, vécue dans l'intimité entre deux oreillettes.

Outre les raisons apparentes que vous avancera tout jeune, il y a l'éternelle angoisse des ados accentuée par nos temps «modernes», une angoisse que ces appareils semblent calmer comme un biberon en bouche. Parce que l'adolescent, sortant parfois trop tôt d'un monde rassurant, se retrouve abandonné au large et s'accroche comme tous ses «potes» à ce qui lui parle. Les paroles qu'il écoute poussent certainement à réfléchir et à adopter un point de vue, mais cela suffit-il?

Ces prothèses intimes ne contribuent-elles pas plutôt à l'isolement? Comment accepter que «écoute cette chanson» soit le seul point de départ de toute conversation entre jeunes? Et nous alors, les adultes, où sommes-nous? Les avons-nous laissés à eux-mêmes sous prétexte qu'ils ont «grandi» ? Le fameux «c'est l'âge» nous innocente-t-il en justifiant tout? Quelles valeurs avons-nous cherché à inculquer dans l'esprit de ces jeunes dans leur enfance? Ouverture, responsabilité, effort, valeur du temps, amour de l'autre qui existe à côté de moi, pour moi (ou contre moi), et parfois, grâce à moi... Ces mots sonneraient faux si l'adolescent ne les vit pas déjà dès l'enfance.

À l'école secondaire, nous nous regroupions entre amis, en un groupe de réflexion, pour partager nos angoisses et notre vécu. Nous étions accompagnés par un prof qui nous écoutait sans forcément donner toujours des réponses. Nous partions en des camps d'aide aux régions défavorisées (aujourd'hui, nombre d'écoles organisent encore des voyages de tourisme purement économiques alors que le monde se dirige vers le tourisme solidaire!)... Nous débordions d'énergie, et nos rêves, nous les partagions. Bien sûr, nous pensions à nous, et notre moi nous angoissait plus que jamais dans cette période de crise, mais il y avait quelque chose à côté, un contrepoids.

L'enfant-roi? L'enfant au centre de l'apprentissage? Est-ce l'entourer d'un miroir concave au risque de le brûler par tous ces rayons qu'on converge sur lui? N'est-ce pas plutôt aménager le terrain afin qu'il soit capable plus tard, comme un bon roi, d'aller au service des autres?

Les loisirs et toute forme de sport n'ont aucune valeur s'ils accentuent l'individualisme. La socialisation n'a pas de sens si elle est centrée uniquement sur l'intérêt qu'elle apporte à la personne qui socialise. Elle n'a de sens que quand elle est vue en son apport à «l'autre».

Enfin, qui parle aux adolescents? Comment et de quoi leur parle-t-on? S'ils ne nous écoutent pas, c'est qu'ils nous trouvent moins intéressants que leur musique. Alors, la main cherche inconsciemment les écouteurs et les ramène à l'oreille... Justement, pour ne rien écouter!

L'auteur est enseignant à la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, à Montréal.