J'ai le coeur en lambeaux et la tête en déroute. J'ai une mère encore vivante de 83 ans, un peu Alzheimer...

J'ai le coeur en lambeaux et la tête en déroute. J'ai une mère encore vivante de 83 ans, un peu Alzheimer...

Après un séjour de deux mois et demi à l'hôpital où l'une de ses compagnes de chambre est décédée sous ses yeux et où le cadavre n'a été retiré qu'après un certain temps.

Après avoir côtoyé un autre compagnon de chambre, souffrant, agonisant, râlant sa douleur et sa détresse. Après avoir partagé sa chambre avec une autre compagne qui ne se levait pas et qui utilisait la bassine, après la puanteur intenable dans la chambre, car on n'avait pas le temps de venir enlever cette bassine et son contenu.

Après au moins une dizaine de déménagements à l'intérieur même de l'hôpital.

Après une contamination au C. difficile et l'isolement qui a suivi.

Après une interdiction de visites, peu après Noël, maintenue jusqu'à presque la mi-janvier à cause d'une épidémie de gastro-entérite.

Après tout cela, je reçois un appel en un beau vendredi matin: «Madame, on a une place pour votre mère en CHSLD et elle doit sortir de l'hôpital aujourd'hui même, au plus tard cet après-midi.» Ma mère sera placée à cet endroit en attendant d'obtenir une place définitive...

Nous arrivons au CHSLD, mon frère, ma mère et moi. Nous sommes chaleureusement accueillis.

J'étais déjà avisée qu'elle ne pourrait pas avoir de chambre privée, mais de là à se retrouver dans une chambre où elle a à peine deux pieds pour circuler autour de son lit, où elle partage sa chambre avec une autre femme grabataire, et sourde de surcroît, qui écoute son téléviseur à tue-tête... Une chambre où elle doit partager la toilette avec trois autres résidents. Une chambre encombrée par le fauteuil roulant de sa compagne qui obstrue le seul chemin qui mène à la toilette. Une chambre avec un rideau qui sépare les lits côte à côte. Une chambre avec une fenêtre donnant sur un gros garage.

Ma mère ne veut pas rester là, et elle a bien raison. Pourtant, on nous a bien avisés que nous n'aurions pas le choix! De plus, elle doit demeurer confinée à sa chambre toute la fin de semaine, car elle arrive de l'hôpital où sévissait une épidémie de gastro-entérite, quoiqu'elle n'était pas atteinte. Isolée, dans un coqueron, 48 heures, sans téléviseur, ni téléphone. Elle refuse ces conditions, et la panique commence à s'installer.

Ma mère se retrouve dans cette chambre minuscule où elle ne veut pas rester! Je fais les 100 pas dans le corridor, incapable de formuler une demande claire. Je dois convaincre ma mère de rester dans cet endroit pitoyable sous prétexte qu'elle n'est pas une riche héritière. Le personnel courtois se mobilise autour du cas de ma mère, échange et cherche une solution. Soudain, l'une d'entre elles, une préposée, suggère une chambre privée, vide, un étage plus haut. La directrice, voyant la fragilité de ma mère, acquiesce rapidement à la demande. Merci à ces femmes de coeur d'humaniser le système...

Ma mère se retrouve donc dans cette nouvelle chambre où elle pourra enfin dormir seule; une chambre qui donne sur le garage d'à côté. Nous l'installons sommairement. Elle semble vouloir accepter sa nouvelle situation... temporaire.

J'ai une mère de 83 ans «avec de la broche dans la tête» qui refuse d'être traitée comme du bétail. Bravo maman d'être encore capable de contester devant ces conditions inhumaines de détention.

Nous le savons tous que le sort réservé à nos aînés n'est pas enviable. Les journaux et la télévision ne cessent de dénoncer cette situation, mais nous n'avions pas encore été atteints aussi abruptement.

Je suis revenue à la maison, ébranlée, attristée, presque sans voix. Maman, nous continuerons de veiller sur toi... mais tuez-moi avant que je connaissance cette déchéance.