Par une nuit douce faite pour le bonheur, ma vieille mère est tombée. Une catastrophe! Hanche et poignet cassés, opération d'urgence, trois mois d'hospitalisation. J'ai pris un congé sans solde afin de l'aider à traverser ce temps d'épreuve. Pendant des semaines, j'ai «campé» dans deux centres hospitaliers pour devenir la voix, les yeux et les oreilles de ma mère devenue confuse.

Par une nuit douce faite pour le bonheur, ma vieille mère est tombée. Une catastrophe! Hanche et poignet cassés, opération d'urgence, trois mois d'hospitalisation. J'ai pris un congé sans solde afin de l'aider à traverser ce temps d'épreuve. Pendant des semaines, j'ai «campé» dans deux centres hospitaliers pour devenir la voix, les yeux et les oreilles de ma mère devenue confuse.

De toutes jeunes infirmières «voletaient» avec grâce autour d'elle. Dans le silence de la nuit, je les entendais parler mariage et nourrissons. Un fossé séparait ces femmes pleines de vigueur, des personnes âgées qu'elles soignaient. Je lisais parfois de la lassitude sur le visage de certaines infirmières, jeunes et moins jeunes, quand elles se penchaient sur ces nonagénaires hâves. La vieillesse n'est pas un «défaut», elle est un état. «Les êtres humains sont des éclats de Dieu» (Soljenistyne). Devant ces infirmières étaient couchés ceux et celles qui ont construit le Québec moderne. Soigner avec délicatesse les aînés, c'est honorer «le grand oeuvre» qu'ils ont accompli; c'est honorer le corps humain, miracle de sang et de chair; et serviteur de l'Esprit ingénieux.

Après cinq semaines d'hospitalisation, ma mère a été admise à l'Institut universitaire de gériatrie de l'Université de Montréal, qui offre des services de grande qualité. À l'entrée, un code d'éthique annonce les couleurs de l'Institut: civilité et respect de la personne âgée. Des aînés lourdement diminués sont remis sur pied par une équipe de médecins, d'infirmiers, de préposés, de physiothérapeutes et d'ergothérapeutes. Après quelques semaines de rééducation, les patients repartent avec cannes, «marchettes» et attelles vers une nouvelle existence, où l'émerveillement et la tendresse auront encore leur place.

La vieillesse grouille de vie. Alors qu'on croit les «vieux» éteints et bougons, je les ai découverts vifs et courageux. Les patients parlaient politique, bonheur, avenir. Certains refaisaient encore le monde. L'heure du «paraître» et du «faire» est derrière les aînés qui vivent dans la plénitude de l'instant présent.

Avec deux dames, frêles comme des roseaux, j'ai eu des conversations inoubliables sur la mort de James Joyce et sur les routes perdues de la Louisiane. La solitude de certains aînés m'attristait. Les baby-boomers seront-ils aussi condamnés à faire des «mots cachés» à longueur de journée dans des «gérontopoles» inhumaines? Où étaient les enfants et les petits-enfants? Pris dans les mille obligations de la vie. Dit-on assez aux jeunes à quel point les personnes âgées sont attachantes et sensibles? Parents, rapprochez vos enfants de leurs grands-parents. Créez tôt des liens forts avec vos enfants pour que leur coeur soit la fontaine d'eau vive à laquelle vous boirez plus tard.

Pendant que j'écris ces lignes, les rumeurs du débat sur l'euthanasie montent jusqu'à l'Institut... Demain, ma mère retrouvera son Ithaque et sa vieille chatte sourde. L'ingéniosité et l'effort humain ont permis le retour d'Ulysse et de ma mère dans leur foyer bien-aimé. Merci aux préposés, infirmiers, physiothérapeutes, ergothérapeutes et médecins qui lui ont redonné sa mobilité.