Épisodiquement, les journaux nous relaient diverses histoires nous informant du patrimoine religieux qui est en péril. Telle église va fermer ou être démolie; tel couvent, abandonné et reconverti en école ou condos de luxe; l'orgue de telle église vient d'être vendu aux Américains.

Épisodiquement, les journaux nous relaient diverses histoires nous informant du patrimoine religieux qui est en péril. Telle église va fermer ou être démolie; tel couvent, abandonné et reconverti en école ou condos de luxe; l'orgue de telle église vient d'être vendu aux Américains.

Les réactions des autorités publiques ou ecclésiales soufflent le chaud et le froid. On ne pourra pas tout sauvegarder, dit-on, il faudra faire preuve d'ingéniosité. On investit par ailleurs des millions dans la restauration (un toit, une fresque, des sculptures, un orgue, des vitraux, etc.), l'État du Québec s'en occupe. Les paroissiens ne sont plus au rendez-vous, entend-on par la suite, et l'Église, elle, est à genoux. Nous ne pouvons plus nous en occuper: requiem pour un patrimoine bâti et culturel.

La voix de nombreux citoyens, amoureux et épris de leur histoire et du legs de leurs ancêtres, se lève à la même fréquence que ces alertes épisodiques. Que de propositions faites, que d'idées soumises. Du bon et du pire, évidemment. Que de colloques, que de discussions sur le sujet. Et pourtant, on a l'impression de tourner en rond. Le problème est connu, mais le statu quo règne.

Le cas de l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus, dans l'Est de Montréal, suscite l'inquiétude depuis sa fermeture à l'automne dernier.Joyau du patrimoine musical avec ses grandes orgues Casavant, l'église est également remarquable pour son aspect architectural. Aussi, avance-t-on diverses craintes quant à son avenir, annonçant même la vente imminente de ses orgues à la Cathédrale de Toronto. Bradage de notre patrimoine par les Anglais? Non, inaction, plutôt, du gouvernement québécois!

L'église en question tomberait en ruine. La structure ne pourrait, dans son état actuel, continuer de soutenir le bâtiment. Il en coûterait trop cher pour la restaurer. On a envisagé d'en faire une salle de concert et une bibliothèque, puis un musée de l'orgue, en y rapatriant les orgues d'autres églises vouées à la fermeture. Vraiment ? Selon quels aménagements ? Et on appelle cela sauvegarder le patrimoine? De telles solutions n'en sont pas. On se méprend à croire que convertir un lieu de culte en quelque chose d'autre, c'est assurer la sauvegarde d'un lieu de mémoire.

Sauvegarder l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus ne consiste pas à en faire une salle multifonctionnelle, à la fois bibliothèque et salle de concert. Sauvegarder un tel lieu de culte, c'est reconnaître ce qu'il fut dans son histoire, son architecture, son acoustique, son odeur. C'est reconnaître ce qu'il a représenté et ce dont on voudra se souvenir à l'avenir. L'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus, si elle mérite de survivre à notre amnésie collective, c'est parce qu'elle est un symbole assez fort pour traverser les siècles et, éventuellement, émerveiller les générations futures.

Son orgue, il en fait partie intégrante. Il fut conçu et pensé pour ce lieu, pas pour la future salle de l'Orchestre symphonique de Montréal, ni pour la Cathédrale de Toronto. Il fut restauré à grands frais sur une période de plus de 20 ans, à la faveur de dons publics et de campagnes de souscription mises en branle par des bénévoles.

Nous avons suggéré à la Commission de la culture de l'Assemblée nationale du Québec, lors des consultations publiques sur l'avenir du patrimoine religieux en 2005, d'inventorier et de nationaliser les plus beaux lieux de culte en précisant, du même souffle, que l'orgue soit un critère prépondérant dans ce processus. Le rapport de la Commission avait retenu cet élément. Ses voeux sont restés lettre morte.

Le cas de l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus devrait relancer le débat. Les Québécois souhaitent que leur patrimoine religieux soit préservé et s'attendent à ce que l'État, tout comme en France, le prenne en charge. Il faut nationaliser ce patrimoine bâti et culturel, rien de moins!

Quand on pense que l'avenir de l'église du Très-Saint-Nom-de-Jésus et de son orgue serait entre les mains de l'archevêque de Montréal, il y a de quoi être inquiet. Ce processus ne saurait reposer entre les mains d'un seul homme. C'est une affaire de société, qui transcende l'Église et ses représentants. Notre gouvernement a une grande responsabilité à cet égard. L'histoire le jugera sur ce qu'il aura fait ou omis de faire quand il était temps.

* Avocat associé chez Heenan Blaikie à Montréal, l'auteur est organiste et ex-secrétaire de la Fédération québécoise des amis de l'orgue.