Experts invités pour la durée de la campagne électorale, les professeurs Stéphanie Yates et Thierry Giasson se prononcent chaque samedi sur cinq des principaux thèmes de la semaine.

L’engagement de la semaine

Encore le troisième lien

Stéphanie Yates, professeure au département de communication sociale et publique, UQAM

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le pont de Québec et le pont Pierre-Laporte

On sait depuis longtemps que science et politique ne font pas toujours bon ménage. Les données scientifiques sont complexes à expliquer, ne sont pas toujours disponibles au moment de la prise de décision et présentent souvent un point de vue nuancé qui s’accorde mal à une joute politique où priment le noir et le blanc. Quand même, il est rare qu’un politicien admette de but en blanc qu’un projet impliquant des milliards de dollars relève d’une décision purement politique. C’est pourtant ce que François Legault a fait au lendemain du Face-à-Face de TVA, alors qu’il admettait ne disposer d’aucune étude sur le projet de tunnel à quatre voies proposé par son parti. Un aveu surprenant, pour ne pas dire choquant pour les contribuables.

Encore le troisième lien (bis)

Thierry Giasson, professeur titulaire au département de science politique, Université Laval

Le troisième lien se fera coûte que coûte, études concluantes ou non. C’est ce qu’a annoncé François Legault en début de semaine. Ce sera une décision politique, le gouvernement ira de l’avant. Ce faisant, le chef caquiste montre que les données probantes ne guident pas toutes ses politiques publiques. Cette déclaration a soulevé l’indignation de tous les adversaires de M. Legault qui l’accusent de dogmatisme. L’enjeu, régional dans ses impacts, mais national quant à la portée de ses coûts (financiers et environnementaux), s’impose ainsi à tous les Québécois, qu’ils vivent dans la région de Québec ou non. Certains (beaucoup ?) pourraient trouver cela problématique.

Le moment mémorable

Un débat qui fait appel à l’intelligence des électeurs

Stéphanie Yates, professeure au département de communication sociale et publique, UQAM

PHOTO PAUL CHIASSON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Les chefs François Legault, Dominique Anglade,
Paul St-Pierre Plamondon, Gabriel Nadeau-Dubois
et Éric Duhaime, lors du débat de Radio-Canada, jeudi soir

Lors du débat des chefs de Radio-Canada, les électeurs ont cette fois eu droit à des échanges éclairants quant aux propositions de chacun des partis, sans cacophonie inutile. Si le Face-à-Face de TVA avait l’allure d’un examen chez le dentiste pour le chef caquiste, qui voulait manifestement en finir au plus vite, on aurait cru cette fois à une visite chez le garagiste : souriant au départ, méfiant par la suite, parfois mécontent, et capable de passer à l’offensive. Plusieurs de ses attaques ont porté : contre Éric Duhaime qualifié d’« agitateur » qui a « profité de la souffrance » durant la pandémie, contre Dominique Anglade pour la bureaucratie instaurée par les libéraux dans le dossier des CPE, et surtout contre Gabriel Nadeau-Dubois, accusé de vivre « au pays des merveilles ». Un débat qui fera donc peu bouger les intentions de vote.

Une affirmation maladroite… et des excuses

Thierry Giasson, professeur titulaire au département de science politique, Université Laval

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Carol Dubé, conjoint de Joyce Echaquan

François Legault s’est (encore !) excusé cette semaine pour l’affirmation maladroite qu’il avait lancé lors du débat de TVA selon laquelle la situation ayant mené au décès de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette « était réglée ». Pour plusieurs, dont le conjoint de Mme Echaquan – que le premier ministre interpellait dans son intervention –, cette déclaration donne l’impression que le premier ministre est insensible à la discrimination vécue par les Autochtones. Sur les questions délicates qui touchent à la diversité culturelle du Québec, M. Legault cumule les impairs et les déclarations problématiques qui le forcent à s’excuser. Vivement que la campagne se termine, car la patience des Québécois envers lui pourrait finir par atteindre ses limites.

Le leader en action

Diviser pour mieux régner

Stéphanie Yates, professeure au département de communication sociale et publique, UQAM

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire
de Québec solidaire

En campagne, il peut être payant de cliver l’électorat, ou de jouer le jeu de la wedge politics (politique de division). C’est ce qu’a fait François Legault en résumant la campagne à « deux visions qui s’affrontent », soit celle de l’économie – la Coalition avenir Québec veut redonner de l’argent aux contribuables – et de l’environnement – Québec solidaire voulant au contraire les taxer davantage. Cette stratégie, qui risque de plaire à ceux qui jugent alarmiste le discours sur la crise climatique et qui se méfient de Québec solidaire, relègue les trois autres partis au second plan. Rien pour favoriser un travail concerté des oppositions afin de « bloquer » François Legault, comme le propose Dominique Anglade.

Une performance en demi-teinte

Thierry Giasson, professeur titulaire au département de science politique, Université Laval

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

François Legault, chef de la Coalition avenir Québec, et Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec, à l’issue du débat de jeudi soir

Le consortium des médias présentait son débat jeudi soir et François Legault, brouillon à TVA la semaine dernière, devait se ressaisir et offrir une performance digne d’un premier ministre. C’est plutôt une performance en demi-teinte à laquelle nous avons eu droit. C’était peut-être suffisant pour rassurer sa base et les indécis qui hésitent à appuyer de nouveau la CAQ, mais il a fait face encore une fois à des adversaires plus en verve que lui. Paul St-Pierre Plamondon a montré hauteur et dignité et a su coincer le premier ministre sur le déclin du français. Dominique Anglade, qui voulait nous présenter la « vraie Dominique », était convaincue, humaine et a rappelé avec justesse à M. Legault que les femmes du Québec subissent des contrecoups importants de son premier mandat. Gabriel Nadeau-Dubois a été cohérent et posé lorsqu’il a indiqué à plusieurs reprises que le jeune père qu’il est ressent de l’inquiétude face à l’urgence climatique. Il faut agir maintenant pour ceux qui nous suivent, a-t-il martelé. Enfin, Éric Duhaime, plus souriant mais ignoré largement par ses adversaires, s’est montré solide sur la question du troisième lien. Toutefois, alors qu’il reste 10 jours de campagne, ces performances agiront-elles vraiment sur les intentions de vote ?

L’étoile montante/filante

Pas d’étoile pour les absents

Stéphanie Yates, professeure au département de communication sociale et publique, UQAM

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

« On apprenait cette semaine que quelque 30 candidats de la CAQ ont refusé de prendre part à des débats locaux ou régionaux », rappelle l’auteure.

On apprenait cette semaine que quelque 30 candidats de la Coalition avenir Québec ont refusé de prendre part à des débats locaux ou régionaux. Ce type d’exercice est certes risqué, surtout pour les candidats en tête, qui ont tout à perdre et peu à gagner en s’y prêtant. D’ailleurs, les centrales des partis imposent parfois à leurs candidats de s’abstenir de prendre part à de telles activités. Or, cette politique de la chaise vide est contraire à l’esprit d’une campagne électorale, qui devrait plutôt être vue comme une occasion d’échanger sur des idées, d’en débattre justement, pour permettre aux électeurs de faire des choix éclairés. Une vision trop idéaliste face au real politics ?

Un déni de démocratie

Thierry Giasson, professeur titulaire au département de science politique, Université Laval

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

« Mener une campagne disciplinée et prudente sur le message à livrer est une chose, mais empêcher ses candidats de prendre part à des débats (sans doute parce que l’on craint des dérapages…) donne l’impression que les stratèges caquistes font assez peu confiance à la compétence et au bon jugement de leurs candidats », écrit l’auteur.

Un reportage de Radio-Canada révèle lundi l’absence relative de nombreux candidats caquistes à des débats locaux. Le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon dit voir dans ce silence des candidats caquistes un déni de démocratie et avance qu’ils sont soumis à des consignes limitant leur capacité de s’exprimer pendant la campagne. Si tel est le cas, c’est en effet problématique. Mener une campagne disciplinée et prudente sur le message à livrer est une chose, mais empêcher ses candidats de prendre part à des débats (sans doute parce que l’on craint des dérapages…) donne l’impression que les stratèges caquistes font assez peu confiance à la compétence et au bon jugement de leurs candidats. Cela devrait préoccuper les électeurs… et ces personnes candidates !

L’image qui vaut 1000 mots

Un message qui fait mouche

Stéphanie Yates, professeure au département de communication sociale et publique, UQAM

PHOTO FOURNIE PAR VERITY STEVENSON

Tract de la Coalition avenir Québec dénonçant
la « taxe orange » de Québec solidaire

Des propriétaires de voitures ont eu la surprise de trouver sur leur pare-brise cette semaine des tracts de la Coalition avenir Québec dénonçant la « taxe orange » de Québec solidaire. Une opération réussie, qui interpelle directement les personnes qui seraient potentiellement touchées par ces mesures faisant partie du Plan climat des solidaires. Et ce, même si la campagne verse dans la désinformation. De fait, selon la proposition du parti, plusieurs véhicules seraient exemptés d’une telle taxe, qui par ailleurs épargnerait les familles de cinq personnes et ceux habitant en région éloignée. Surtout, cette taxe ne s’appliquerait qu’à l’achat de nouveaux véhicules et n’aurait donc pas d’effet immédiat pour les personnes actuellement propriétaires de véhicules énergivores.

Duhaime n’attendait pas mieux

Thierry Giasson, professeur titulaire au département de science politique, Université Laval

PHOTO PATRICE LAROCHE, ARCHIVES LE SOLEIL

Le chef conservateur Éric Duhaime s’est rendu le 19 septembre au ministère des Transports.

Nous le disions précédemment, le troisième lien autoroutier à Québec s’est imposé comme l’enjeu de la semaine lorsque le premier ministre François Legault a d’abord laissé entendre qu’il n’y avait pas d’études sur le projet, que si elles existaient, elles ne seraient pas publiées et, enfin, qu’il réaliserait le projet indépendamment des conclusions d’éventuelles études. Le chef conservateur Éric Duhaime n’attendait pas mieux et a mobilisé la question toute la semaine. Sa stratégie d’attaque a culminé dans une mise en scène où il s’est présenté au ministère des Transports afin de déposer des demandes d’accès à l’information exigeant que les études déjà réalisées soient dévoilées d’ici sept jours. Le décompte est lancé.