Marc Cassivi et Marc-André Lussier fréquentent le Festival de Cannes depuis le début du XXIe siècle. Des premières loges, les auteurs ont assisté aux triomphes, aux déceptions, à des moments d’anthologie qui ont marqué l’histoire du septième art.

2014 – Le sacre de Dolan

Je me suis retrouvé dans un ascenseur avec lui, son amie comédienne Géraldine Pailhas et l’acteur allemand Daniel Brühl, qui lui avait remis plus tôt son Prix du jury. Des photographes l’attendaient à la sortie des artistes du palais. Une voiture du Festival aussi. Je suis resté en retrait pendant que les stars baignaient dans les flashes. « Vous avez parlé pour notre génération. Vous êtes notre source d’inspiration », lui a confié un jeune homme, ému par son discours de remerciement. Ce discours, il l’avait écrit d’avance pour ne pas être pris au dépourvu, dans l’avion, en route vers Cannes (après avoir raté un premier vol parce qu’il avait égaré son passeport… dans son congélateur). Un discours émouvant, qui n’a laissé personne indifférent : « Je pense que tout est possible à qui ose, rêve, travaille et n’abandonne jamais », a-t-il tenu à dire, ému aux larmes, aux jeunes de sa génération.

Sa déception au moment de l’annonce du Prix du jury était pourtant palpable. Comme celle de plusieurs journalistes, qui souhaitaient voir son film monter plus haut dans le palmarès. Il avait osé croire à la Palme d’or, que plusieurs lui prédisaient, dans les médias français en particulier (« La Palme pour Mommy de Xavier Dolan ? » avait demandé, sur Twitter, Le Monde). « Ce n’est pas de la pression que tout ça ajoute, c’est de l’espoir, m’avait-il confié la veille du palmarès. Ce qui n’est pas nécessairement positif ! » Quelques mois plus tard, le nouveau président du Festival de Cannes, Pierre Lescure, allait attribuer par méprise sur un plateau de télé français le Grand Prix à Mommy, alors qu’il a plutôt été décerné à Le Meraviglie d’Alice Rohrwacher, film passé plus ou moins inaperçu chez les festivaliers. Dolan lui-même aurait préféré recevoir le Prix de la mise en scène plutôt que de partager le Prix du jury avec le légendaire doyen de la compétition, Jean-Luc Godard, qui remportait à 83 ans sa toute première récompense à Cannes.

Avec son franc-parler habituel, Dolan ne s’est pas défilé lorsqu’on lui a demandé, en conférence de presse du palmarès, s’il était déçu de ne pas avoir obtenu la Palme d’or. Évidemment qu’il était déçu.

Il n’avait pu faire autrement que de rêver secrètement de devenir à 25 ans le plus jeune lauréat de la Palme d’or, devant Steven Soderbergh (auréolé à 26 ans grâce à Sex, Lies, and Videotape). « Ce qui me fait le plus plaisir dans ce Prix du jury, c’est que c’est un prix coup de cœur », nous a-t-il confié dans la voiture, en route vers la fête privée donnée pour les lauréats. Géraldine Pailhas lui disait à quel point être ainsi lié pour la postérité à Godard dans l’histoire du cinéma était un honneur. J’ai osé lui dire que Nuri Bilge Ceylan n’avait pas volé sa Palme d’or (pour le remarquable Winter Sleep), en espérant que sa déception soit moins grande. Des paparazzi nous attendaient devant le Marriott. Je me suis de nouveau posté en retrait. Dans le corridor menant au Club Costes, parmi la dizaine de portraits en format géant de stars du cinéma, il y avait celui de Xavier Dolan, à côté de ceux de Nicole Kidman et de Daniel Day-Lewis.

Marc Cassivi

2007 – Le mauvais feuilleton

Le titre de ma critique de L’âge des ténèbres ? « Arcand ne convainc pas tout à fait ». Pour résumer, j’évoque le déséquilibre entre les scènes fantasmées et celles campées dans la réalité de ce fonctionnaire désabusé (Marc Labrèche) qui, pendant sa crise de la quarantaine, n’a d’autre choix que de se réfugier dans le fantasme pour se sentir exister. Le portrait grinçant que brosse Denys Arcand de la vie de son malheureux personnage – et de la société québécoise par la même occasion – me semble plus réussi que les séquences plus oniriques. « Dans l’ensemble, le film fait voir ses qualités, mais laisse quand même une impression peu enthousiasmante », avais-je écrit. « Le domaine de l’imaginaire – dont l’évocation n’est pas toujours habilement exécutée – semble nuire au récit plutôt que l’enrichir […]. Alors ? Raté, L’âge des ténèbres ? En tout cas pas aussi réussi que nous l’espérions. »

Programmée au beau milieu de l’après-midi, la conférence de presse de l’équipe de L’âge des ténèbres n’a pas vraiment fait courir les journalistes. On en dénombrait peut-être une cinquantaine dans la salle, dont plusieurs québécois. Il était assez remarquable de constater à quel point plusieurs représentants des médias, ainsi que de nombreux professionnels, avaient déjà déserté la Croisette. On comptait même plusieurs sièges vides lors de la projection de presse de Promise Me This, le nouveau film d’Emir Kusturica, le dernier inscrit en compétition. C’est dire.

Dans ce contexte, il était tout à fait normal que personne ne se bouscule aux portes pour une rencontre de presse de cette nature. Cela dit, la présence des nombreux acteurs du film, dont Diane Kruger, a quand même créé son effet auprès de la meute de photographes. Ils étaient en tout cas nombreux à entourer Denys Arcand lors de cette conférence. Sur la tribune, les vedettes Marc Labrèche, Diane Kruger et Emma De Caunes ; le coproducteur français Dominique Besnehard ; et, bien entendu, Denise Robert, « la productrice attitrée de Denys Arcand », a précisé le présentateur Henri Béhar. Assis dans la salle avec les journalistes au premier rang, plusieurs acteurs québécois : Sylvie Léonard, Jean-René Ouellet, Macha Grenon, Caroline Néron, Didier Lucien, André Robitaille, Hugo Giroux, Rosalie Julien. Et peut-être même quelques autres.

Évidemment, la presse française et internationale ne s’était pas encore vraiment prononcée sur L’âge des ténèbres. La presse québécoise, si.

Quand le correspondant de Radio-Canada à Paris a voulu obtenir ses commentaires sur les critiques « plutôt tièdes » publiées dans les quotidiens au Québec, Denys Arcand a simplement déclaré qu’il n’avait encore rien lu. Appelé ensuite à situer L’âge des ténèbres dans son œuvre, le chef de file du cinéma québécois a laconiquement dit qu’il s’agissait de son plus récent film. Il a aussi rassuré le journaliste quant à la ferveur de sa passion de cinéaste. Visiblement, le cœur n’était pas à la fête.

C’est à ce moment qu’est intervenu le coproducteur français Dominique Besnehard. Ce dernier, qui ne cachait pas avoir été agacé par toutes les histoires relayées dans les médias québécois à propos de la sélection du film pour la clôture, s’est adressé au reporter : « Tous les échos que nous avons dans la presse française sont positifs et la seule agression vient d’un journaliste du Québec. Je trouve cela assez hallucinant ! » Le coproducteur fut applaudi.

La projection de gala fut, quant à elle, très réussie.

Marc-André Lussier

Cannes au XXIe

Cannes au XXIe

Somme toute, 2021

Disponible en librairie le 8 juin