La chercheuse et conférencière Catherine L’Ecuyer démontre que la meilleure préparation pour faire un usage responsable des technologies consiste à expérimenter librement, au contact de la réalité.

Au cours de la seconde moitié du siècle dernier, la télévision a fait une entrée massive dans les foyers de la plupart des pays du monde développé. En 1970, les enfants américains avaient leur premier contact avec les écrans à l’âge de 4 ans. Leur accès à la technologie était alors limité aux technologies traditionnelles (télévision et radio), et le contenu disponible avait un rythme relativement lent. Près de cinquante ans plus tard, les enfants américains ont accès à un large éventail d’appareils technologiques numériques dès l’âge de 4 mois.

Au Canada, un rapport de Statistique Canada de 2016 révèle que les enfants âgés de 3 à 4 ans passent en moyenne 2 heures par jour devant un écran et que près du quart des enfants de 5 ans sont exposés à plus de 2 heures d’écran par jour. Plus précisément, au Québec, une étude réalisée en 2019 auprès d’élèves montréalais en sixième année du primaire indique que plus de 20 % d’entre eux ont un temps d’écran de loisir – qui exclut l’utilisation des technologies numériques en classe ou pour les devoirs – de plus de 4 heures par jour.

Au Royaume-Uni, une étude menée en 2018 révèle que les trois quarts des enfants de moins de 5 ans ont accès à un ordinateur ou une tablette, et près de la moitié ont un tel appareil qui leur appartient.

Aux États-Unis, un rapport de 2017 de Common Sense Media indique que les enfants de moins de 2 ans consomment en moyenne 1 h 25 de médias numériques par jour. Un rapport publié par le même organisme en 2019 indique que les jeunes de 8 à 12 ans en consomment 4 h 44 par jour et que les jeunes de 13 à 18 ans en consomment 7 h 22 par jour, sans inclure le temps passé sur des écrans à l’école ou pour faire leurs devoirs. Selon la même étude, 53 % des jeunes ont un téléphone intelligent à 11 ans et 69 % en ont un à 12 ans.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui : les adolescents d’Amérique du Nord passent en moyenne plus de 7 h par jour devant un écran.

Ce sont 2689 heures par année. En heures « quotidiennes », si l’on exclut les heures de sommeil, cela représente environ cinq mois et demi par année, c’est-à-dire presque la moitié de l’année. Bien qu’incroyables, ces chiffres parlent d’eux-mêmes : les jeunes passent pratiquement la moitié de leur temps d’éveil devant un écran. Et si on fait la somme des heures d’écrans auxquelles sont exposés les jeunes de 8 à 18 ans, on en arrive à la conclusion qu’ils cumulent plus de 4 ans et 3 mois du temps d’éveil de leur adolescence dans le monde virtuel. […]

Ce livre vise à démonter plusieurs des mythes qui circulent impunément au sujet des écrans et qui ne font qu’accroître le temps que nos enfants et nos élèves passent devant ceux-ci. Nous parlerons de plusieurs arguments protechnologiques qu’il nous est souvent interdit de réfuter, voire d’aborder de nos jours. Nous avons certainement déjà entendu certains arguments qui plaident en faveur de l’utilisation de la technologie pendant l’enfance et l’adolescence, à la maison comme à l’école, par exemple :

« C’est l’avenir ! »

« Les enfants ne doivent pas manquer le train de la technologie. »

« On doit s’adapter à la façon d’apprendre des enfants du numérique. »

« La technologie dans les classes est nécessaire puisqu’elle contribue à l’apprentissage. »

« Les enfants du numérique sont capables de multitâche technologique. »

« La technologie permet aux enfants de mieux prêter attention à ce qu’ils font et les motive pour apprendre. »

« C’est le futur, qu’on le veuille ou non. »

« Ah ! Ces technophobes et ces alarmistes qui veulent limiter l’accès aux technologies ! »

Nous parlerons des fausses croyances les plus courantes au sujet des technologies appliquées à l’éducation, les « technomythes », notamment ceux du multitâche technologique, de l’« enfant numérique », de la neutralité de la technologie et du fossé numérique.

Nous nous pencherons sur le lien entre l’usage de la technologie et la motivation scolaire ainsi que sur le piège de confondre « attention soutenue » et « fascination ».

Nous parlerons aussi des intérêts économiques en jeu, des conséquences d’une utilisation soutenue des écrans chez les enfants et les adolescents, ainsi que des recommandations des principales associations pédiatriques.

Pendant la pandémie de la COVID-19, l’augmentation de l’utilisation peut être exceptionnellement justifiable. En période de confinement, l’écran permet à nos enfants de communiquer avec leurs proches ou de se connecter à leur école, par exemple. Toutefois, une pandémie peut amplifier certains abus et contribuer à l’acquisition de mauvaises habitudes en lien avec l’utilisation de la technologie. Aujourd’hui, plus que jamais, il est nécessaire de faire le point sur chacune des circonstances de cette utilisation.

Ce livre ne se veut pas un livre « alarmiste », « technophobe » ou culpabilisant. La technologie est un outil merveilleux lorsque l’utilisateur est préparé pour en faire un usage judicieux. Il est évident que nos enfants finiront par l’utiliser lorsqu’ils seront prêts à le faire. En quoi consiste donc cette préparation ? Contrairement à ce que l’on pense, et c’est ce qui sera démontré, la meilleure préparation pour le monde virtuel ne passe pas par l’enseignement de l’utilisation d’un dispositif technologique, mais plutôt par l’expérience personnelle acquise au contact du réel.

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Pour un retour à la réalité

Pour un retour à la réalité
Pourquoi les écrans absorbent tant nos enfants ?
Catherine L’Ecuyer
Québec Amérique
176 pages