Claude Trudel retrace les principales étapes de l’histoire du ministère de la Culture en se penchant sur la personnalité et l’action de celles et ceux qui l’ont dirigé.

Pourquoi Lapalme a-t-il choisi de recommander la création d’une structure gouvernementale, tel un ministère, plutôt qu’un conseil des arts ou le laisser-faire pratiqué à l’américaine ?

La réponse est multiple, mais politique avant tout. Lapalme était un homme à la recherche de solutions politiques aux problèmes qui se posaient, de réponses politiques aux questions qu’on soulevait. La structure gouvernementale, celle d’un ministère dirigé par un membre du conseil des ministres responsable devant l’Assemblée législative, lui paraissait à la fois démocratique et efficace. Des banquettes de la Chambre des communes comme de son siège de chef de l’opposition à l’Assemblée législative, il avait pu constater, pour le meilleur et pour le pire, toute la puissance, tout le pouvoir et toutes les ressources que détenaient non seulement le premier ministre, mais aussi les ministres, pour peu que ces derniers décident de s’engager. Comme chef de parti, il savait que le pouvoir et la résolution des problèmes résidaient dans la joute politique et le débat démocratique, même souvent inégal, que ces questions entraînaient. Il croyait profondément aux valeurs démocratiques, au système électoral québécois (évidemment purgé des manipulations et des escroqueries de tous genres) et à la représentativité des élus. Tout son travail à la Fédération libérale du Québec plaidait en ce sens.

Un ministère représentait l’instrument idéal et efficace pour s’occuper de la culture au sens large que Lapalme lui donnait : langue, arts et lettres, patrimoine, urbanisme, immigration et protection des Canadiens français d’outre-frontières.

Ensuite, sur une note politico-pratique, rappelons que l’engagement électoral de 1956 de créer un Conseil provincial des arts n’avait pas fait long feu, compte tenu du résultat, encore une fois désastreux, de l’élection pour le Parti libéral.

En outre, la création, en France, du ministère des Affaires culturelles placé en 1959 sous la direction de l’écrivain André Malraux a profondément influencé Lapalme qui, depuis toujours et dans divers domaines, suivait et admirait ce qu’on y accomplissait.

Pour toutes ces raisons, Lapalme n’a pas cru devoir retenir la formule du Conseil des arts à la britannique tel qu’elle existait au niveau fédéral depuis 1957 (et à Montréal dans une moindre mesure depuis 1956), qui remet une très grande partie, certains disent une trop grande partie, de la politique culturelle entre les mains d’organismes non élus (bien que relevant d’un ministre « at arm’s length »). Sa conception englobante de la culture se situait évidemment aux antipodes du laisser-faire américain, dont il ne traite à peu près jamais dans son remarquable manifeste de 1959.

La vision politique globale de Lapalme a formé la base du programme politique du Parti libéral du Québec pour l’élection du 22 juin 1960. Sa vision culturelle s’est retrouvée intégralement formulée à l’article 1 du document qui énonçait, on ne peut plus clairement, ses priorités : la langue et la culture. Cet article, soulignant que le fait français constituait l’élément le plus universel de la société québécoise, engageait le parti à créer un ministère des Affaires culturelles qui chapeauterait l’Office de la langue française, le Département du Canada français d’outre-frontières, le Conseil provincial des arts, la Commission des monuments historiques et le Bureau provincial d’urbanisme. On mesure encore mal aujourd’hui toute l’audace qu’il a fallu aux libéraux pour inscrire un tel engagement au tout début de leur programme électoral face à ce qui constituait encore, malgré la disparition de son fondateur et de son dauphin quelques mois auparavant, une redoutable machine à gagner des élections bien enracinée dans les traditions.

Le ministère des Affaires culturelles

Le premier ministre Jean Lesage tient à déposer lui-même le projet de loi 18 instituant le ministère des Affaires culturelles le 16 décembre 1960. Le 2 mars 1961, en l’absence de Georges-Émile Lapalme, en convalescence à la maison, il en présente les grandes lignes et la vision qui le sous-tend. Il rappelle d’abord qu’il existe en Amérique du Nord ce que l’on appelle fort justement le « fait français » et que ce « fait français », présent surtout au Québec, lui donne son visage particulier. Par la création du ministère des Affaires culturelles, poursuit-il, le peuple canadien-français se donne le moyen de remplir, comme il convient, la tâche que l’histoire de son pays lui a transmise et que sa survivance exige qu’il accomplisse.

Le premier ministre exprime l’avis que son gouvernement est non seulement justifié de protéger et de diffuser cette culture, mais qu’il a l’obligation morale d’y prendre une part considérable de responsabilité en instaurant les structures administratives qui s’imposent et en suscitant, par leur intermédiaire, le mouvement dynamique de l’expression culturelle canadienne-française.

Mais la culture, rappelle-t-il, n’existe pas à l’état pur, comme telle. On la voit transparaître dans des signes extérieurs, la langue écrite et parlée, la musique, l’architecture, les arts plastiques, etc. C’est pourquoi l’action du nouveau ministère devra rejoindre la culture dans les faits, concrètement. Pour cela, il aura sous sa juridiction quatre organismes : l’Office de la langue française, le Département du Canada français d’outre-frontières et le Conseil provincial des arts, créés par la loi, ainsi que la Commission des monuments historiques. Ce dernier organisme continuera le travail utile déjà commencé et pourra le rendre encore plus efficace et plus considérable grâce aux moyens accrus dont il disposera. Tout l’article 1 du programme politique des libéraux se retrouve dans le projet de loi, à l’exception du Bureau provincial d’urbanisme, dont Lesage se garde bien d’expliquer l’absence.

Note : La loi créant le ministère des Affaires culturelles du Québec a été adoptée le 24 mars 1961 et est entrée en vigueur le 1er avril de la même année.

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Une histoire du ministère de la Culture (1961-2021)

Une histoire du ministère de la Culture (1961-2021)
Claude Trudel
Éditions du Boréal, mars 2021
324 pages