Ottawa sonne enfin la fin de la récréation en envoyant un shérif – lourdement armé – pour aider les réseaux sociaux à faire appliquer le Code criminel sur leurs plateformes.

En théorie, le Code criminel s’est toujours appliqué sur Facebook, TikTok, Twitter, Instagram, YouTube et Pornhub.

En pratique, on a toujours laissé les plateformes se gérer elles-mêmes. Avec des résultats mitigés. Déplorables dans le cas de Pornhub/MindGeek.

Le gouvernement de Justin Trudeau a proposé jeudi sa solution : deux organismes de réglementation des réseaux sociaux, créés pour empêcher spécifiquement et uniquement la publication de contenu criminel sur ces plateformes.

Il ne s’agit pas de tribunaux « woke » qui limiteront votre liberté d’expression. Ces nouveaux organismes réglementaires s’assureront plutôt que les plateformes expurgent cinq types de contenu criminel :

1) les discours haineux ;

2) l’incitation à la violence ;

3) le contenu terroriste ;

4) le partage non consensuel d’images intimes ;

5) le contenu relatif à l’exploitation sexuelle des enfants.

Détail d’une importance capitale : on parle ici de discours haineux au sens du Code criminel, et non de propos blessants ou dérangeants.

On parle de propos qui incitent carrément à la haine à l’égard d’un groupe identifiable en raison de sa couleur, sa race, sa religion, son origine nationale ou ethnique, son âge, son sexe, son orientation sexuelle, son identité ou expression de genre, sa déficience mentale ou physique. Bref, des propos qui pourraient vous mériter jusqu’à deux ans de prison au palais de justice. Un exemple de discours haineux ? Nier l’Holocauste.

Tenir des propos racistes, déplacés ou blessants à l’égard d’un groupe identifiable est un geste ignorant, imbécile et généralement diffamatoire sur le plan civil. Mais ça n’en fait pas nécessairement des propos haineux au sens du Code criminel. La réforme fédérale ne vise pas ces propos « awful but lawful » sur le plan criminel, comme disent les Anglais.

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Si le projet de loi d’Ottawa est adopté, un nouveau commissaire à la sécurité numérique veillera à ce que les plateformes prennent au sérieux leur rôle de modérateur du contenu criminel. Il s’assurera d’uniformiser les meilleures pratiques. Il aura les réseaux sociaux à l’œil pour que leurs utilisateurs ne puissent plus y violer impunément le Code criminel.

À la suite d’une plainte, les réseaux sociaux auront 24 heures pour déterminer si le contenu en question est du contenu criminel et le retirer le cas échéant. Le plaignant ou l’utilisateur pourra faire appel auprès du réseau social, comme c’est le cas actuellement. Le comité consultatif de Facebook tranche des milliers de cas par mois.

Ottawa veut créer un tribunal fédéral indépendant qui sera une sorte de cour d’appel des décisions internes des réseaux sociaux. Ce tribunal ne serait pas obligé d’entendre toutes les plaintes (il serait vite submergé). Il entendrait les plaintes importantes afin de créer une jurisprudence pour tous les réseaux sociaux. Voilà un bon compromis.

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Devant les gestes criminels commis par les utilisateurs sur les réseaux sociaux, on a deux options.

Laisser les réseaux sociaux et Pornhub continuer de régir leurs plateformes comme ils l’entendent.

Ou les encadrer pour s’assurer qu’ils y consacrent assez de ressources.

Ottawa prend la bonne décision en créant ce shérif réglementaire lourdement armé, qui pourra enquêter et distribuer des amendes jusqu’à 3 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.

En pratique, le gouvernement Trudeau, qui déclenchera vraisemblablement des élections cet été ou à l’automne, va mener des consultations sur le sujet jusqu’à la fin septembre. Il espère déposer son projet de loi à l’automne. C’est drôle à dire pour ce gouvernement atteint de consultatite aiguë, mais ce délai est court.

Le gouvernement Trudeau devra manœuvrer avec doigté. Sa réforme s’annonce prometteuse, mais elle sera controversée.

Les principes de sa réforme sont justes, mais le diable se trouve souvent dans les détails.

Il faudra notamment bien définir dans la nouvelle loi la notion de propos haineux.

Autre préoccupation : un délai de 24 heures pour juger de ce qui est du contenu haineux, c’est très court. En pratique, il y a un risque réel que les plateformes ne prennent pas de risque et retirent un trop large spectre de contenu, pour ne pas s’attirer de problèmes. La liberté d’expression en pâtirait alors.

La définition des quatre autres types de contenu criminel étant plus claire, le délai de 24 heures est parfaitement justifié dans leur cas. Mais pour le discours haineux, les frontières du Code criminel sont plus floues et dépendent souvent du contexte des propos. On verra ce qu’en pense la communauté juridique, mais un délai de 48 heures pour les cas de discours haineux serait probablement plus sage. Au moins pour les premières années.

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