Partant d’un état des lieux qui recense toutes les questions actuelles autour du travail, l’ouvrage montre la genèse historique de la centralité de cette valeur, puis creuse la réflexion sur la crise qui la frappe.

La flexibilité imposée par l’économie de marché détériore, comme on l’a vu, les relations sociales au sein du travail, au point d’affecter la santé des travailleurs. Loin d’être un plaisir, travailler devient source d’angoisse et développe cette « peur au ventre » dont se plaignent nombre de professionnels et qu’ils essaient de combattre par les médicaments, la drogue ou l’alcool. Dans le pire des cas, cela peut conduire au suicide.

Les stratégies managériales peuvent être à l’origine du mal-être au sein du travail, voire provoquer des pathologies, comme le burn-out. Ce mal n’épargne aucune catégorie professionnelle. Médecins, enseignants, policiers, etc., tous sont touchés. Mais de quoi le burn-out est-il vraiment l’expression ? Peut-on le confondre avec n’importe quel type de trouble au sein du travail ?

Étymologiquement, burn-out se traduit littéralement par « consumation de l’intérieur ». C’est une sorte d’incendie intérieur qui consume le travailleur en faisant fondre son énergie.

Pascal Chabot dans Global burn out fait remonter l’apparition de ce phénomène aux années 1970, dans le milieu psychiatrique new-yorkais. Le psychiatre Freudenberger qui avait longtemps travaillé avec des toxicomanes s’est aperçu que ce n’était pas uniquement eux qui pouvaient être consumés de l’intérieur, mais aussi le personnel soignant. Complètement investis dans leur travail, ils succombaient à un épuisement profond. Ne pouvant plus régénérer leur force vitale, même après une certaine période de repos, ils arrivaient à un point d’affaiblissement extrême. Ils sombraient alors dans un état de dépersonnalisation qui les amenait à adopter une attitude cynique et autodestructrice mêlée à un profond sentiment de mésestime de soi. Socialement, ils se coupaient des autres en s’isolant.

Selon Chabot, le terme « burn-out » apparaît en 1961, sous la plume de Graham Greene, dans son roman A burn out case, qui est une expression censée décrire la condition des lépreux. Les individus touchés par cette maladie ayant perdu leurs orteils et leurs doigts voyaient alors la lèpre arrêter de progresser. La maladie ne pouvant aller plus loin, le lépreux devenait un burn-out case, car s’il ne pouvait guérir, ni recouvrer les parties disparues de son corps, il ne pouvait plus être consumé davantage.

Le burn-out, comme dans le cas de la lèpre, est une maladie qui brûle de l’intérieur l’énergie du travailleur, mais une fois arrivée au bout, elle ne peut aller plus loin. C’est là qu’émerge alors la possibilité d’une libération et d’une guérison. Cet épuisement généralisé et inédit peut révéler le déclenchement d’une prise de conscience du rapport pathologique qu’entretenait le travailleur avec son travail.

On peut dire du burn-out qu’il est le rejeton de la culture productiviste du travail, laquelle doit respecter les impératifs du rendement et de l’efficacité. Cette pathologie trouve son origine dans la nécessité sans cesse renouvelée de l’adaptation à un monde du travail qui évolue en permanence, qui va toujours plus vite, et qui exige de maîtriser davantage d’objets ou de méthodes de travail. C’est le principe même de la flexibilité. Le tout, dans un contexte de communication et d’échanges permanents. Cet état de fièvre, d’ébullition collective des sociétés rongées par l’injonction du travail affecte certains individus au point de les amener à cet état de consumation mentale et physique.

Ironie du sort, ce ne sont pas les « tire-au-flanc », les « flemmards », les paresseux qui tombent dans le burn-out, mais ceux qui sont investis dans leur tâche, les bons élèves, ceux qui, dociles, acceptent sans rechigner de faire tout ce qu’on leur demande de faire.

Le burn-out est la rançon de ceux qui croient le plus à la valeur du travail et à la place centrale qu’ils lui ont accordée dans leur vie. Il est devenu ce phénomène moderne par excellence qui remet en cause violemment la foi des hommes dans le travail. Objet d’idolâtrie, le travail élevé au rang d’une religion dominante des sociétés modernes gouverne les existences humaines en devenant leur essence même. Il peut même se transformer en une dépendance et les bourreaux de travail deviennent ce que les Anglo-Saxons nomment « workaholics ».

Le burn-out est la conséquence de cette exigence d’adaptation permanente. L’espèce humaine a pu surmonter de nombreux obstacles tout au long de son histoire, dans sa lutte pour la survie, grâce à cette faculté d’adaptation. Cependant, cette capacité a ses limites. On ne peut demander à un homme de s’adapter sans cesse afin de répondre au mouvement, infernal, du changement. Ne serait-ce qu’à cause de l’usure du temps et du vieillissement du travailleur. L’adaptation, dans le milieu du travail, s’est transformée de moyen en fin en soi. Les exigences actuelles dans le travail moderne prônent l’adaptation pour l’adaptation, sans jamais interroger la fin véritablement poursuivie. Le travailleur peut alors développer le sentiment de ne pas savoir la finalité de sa tâche. Ayant misé toute son existence sur le labeur, sa vie s’en trouve grandement affectée. C’est la crise.

La soumission à cette pression de l’adaptation provoque un déchirement chez le travailleur par rapport à ses propres principes moraux. Si la personne tombe dans cette contradiction entre son travail et ses principes, elle s’épuise et finit par se consumer. Et ce n’est pas un hasard, si ce sont les métiers qui interviennent sur l’humain, d’une manière générale, l’enseignement, la santé, la sécurité, qui sont les plus touchés par le burn-out, car l’évaluation économique de leur activité est celle qui échappe le plus à la logique marchande.

Autopsie de la valeur du travail – A-t-on perdu tout sens de l’effort ?

Autopsie de la valeur du travail – A-t-on perdu tout sens de l’effort ?

Éditions Apogée

164 pages