Je suis émue à l’idée de vous écrire. Comment une personne ordinaire peut-elle dire à une personnalité extraordinaire ce qu’elle a fait naître dans sa vie ?

Comment trouver les mots aussi justes, aussi beaux des poèmes, pour raconter à un homme tel que vous l’extraordinaire changement qui s’est fait dans ma vie après avoir écouté, bercée de votre voix grave, à la radio, les remarquables destins des oubliés de l’histoire.

Pour ajouter au banal, j’écoutais vos émissions pieusement installée sur une banquette de bus de banlieue, le soir en revenant chez moi après la fatigue du boulot, y a-t-il là une coïncidence que je voudrais vous signaler ? Sûrement, car dans cette nécessité obligatoire du métro-boulot-dodo, j’ai perçu la faisabilité de rêves que j’avais eus, tout comme vous, enfant, d’aller à la rencontre des peuples amérindiens.

Et ont défilé dans mes oreilles des lieux, des noms qui ont porté à l’apogée mon imagination que je ne pouvais plus retenir.

Wounded Knee, Sacajawea, Lewis et Clark, Crazy Horse, Geronimo, les Mandans, Gros Ventres, Sioux, Cheyenne, Comanche, tous ces destins liés au pire des évènements de l’histoire américaine et canadienne, entre massacre et consécration, entre célébrité et trahison.

Je partis donc un premier jeudi de vacances en octobre, il y a maintenant près de 10 ans, pour me retrouver à Winnipeg, louer une voiture et commencer la route, avec un grand R, celle qui voit les kilomètres avalés à bon escient, car il y avait un but derrière cette folle escapade. Arrivée au Dakota du Sud, un mercredi après-midi, seule, ayant traversé la réserve extrêmement pauvre de Pine Ridge, devant le panneau annonciateur du massacre de Wounded Knee, 1890, je me suis pincée, demandé ce que je faisais là… la réponse a été subtile mais ferme.

Dans ce petit cimetière où trône à l’entrée une montagne de vêtements et des banderoles voletant aux clôtures, des noms défilent sur les monuments, avec au centre, la fosse commune que des soldats ont creusée en hâte parce qu’il faisait froid. Alors, j’ai vu de quoi est faite l’histoire. Pas de noms célèbres, pas de pierres colossales ; des fleurs de plastique, des chapelets, des peluches disent la gravité du lieu. Et parce qu’il faut bien repartir, non sans avoir laissé une poignée de tabac en respect, j’ai continué sur la route en évitant des hordes de chevaux sauvages, et croisé, sans le savoir, le premier monument dédié à Sitting Bull, Moebridge. Il était bien là, le chef, le guerrier qui a tant fait pour son peuple.

Et puis, et puis… il y en a eu d’autres, beaucoup de lieux étonnants que vous m’avez, M. Bouchard, aidée à découvrir.

Il s’agissait de faire le premier pas, depuis je suis insatiable. Colorado, Montana, Seattle, Wyoming, Nouveau Mexique, bientôt la Saskatchewan, puis l’Arizona, j’aurais tant voulu que moi, personne ordinaire, je puisse vous remercier pour ces lieux, ces gens, ces visages peints, ces paysages, ces cultures si différentes les unes des autres, que vous, avec votre insatiable regard, avez portés à l’attention de ma curiosité. Je comprends très bien votre émerveillement sur le fameux « rien » ; ce sont les riens qui font les merveilles de ce monde : un bison dans la plaine, un aigle qui vous survole, un cactus au milieu de l’herbe, un sandwich mangé au milieu de chiens sauvages qui animent les réserves là-bas, ce sont les joies du routier !

Je pars toujours seule, vous êtes avec moi en pensées dans mes destinations, ça, ça ne changera jamais, et je vous promets qu’un jour, j’irai attacher un ruban rouge à une épinette noire au pays des mammouths laineux…