Capucine Esther Beauchemin est le nom de plume d’une enseignante de Montréal, épuisée. Pour elle, le burn-out est, dans bien des cas, le résultat logique des exigences d’une société axée sur la performance.

En changeant de thérapeute (et d’approche, ce faisant), j’me suis rendu compte d’un truc qui m’irrite profondément : la pathologisation de problèmes sociaux. Je crois que, fréquemment, les symptômes dépressifs ou anxieux sont des réponses naturelles à des situations ou à des évènements particulièrement difficiles, liés aux injustices découlant d’un système où se perpétuent les inégalités et les rapports de pouvoir.

Pour moi, la cause principale de mon épuisement, c’est pas ma personnalité, mes pensées, mes croyances, mes comportements. C’est pas vrai qu’en apprenant à dire non, ma liste de tâche va diminuer. J’ai beau nommer constamment mes besoins et partager mon point de vue en parlant au « je », tout le monde est pas toujours magiquement réceptif.

Si j’étais la seule à être malade, j’dirais pas. Mais la détresse psychologique chez les enseignant.es est bien documentée. Ça arrive pour la majorité d’entre nous ! Je fais partie de la norme, pas de l’exception.

La cause principale de mon épuisement se trouve dans l’organisation du travail, dans le sous-financement chronique de l’éducation, dans la précarisation des services. C’est systémique.

La Fédération autonome de l’enseignement (FAE) le reconnait d’ailleurs :

« [L]e stress intense, la fatigue chronique, les problèmes de sommeil, l’épuisement, la détresse et l’envie de tout lâcher ne doivent plus être compris et vécus comme des problèmes personnels, car c’est l’organisation de notre travail qui est malade et qui nous rend malades. Ces symptômes sont bien souvent le fait de situations à risque, présentes dans le milieu scolaire, qui rendent la tâche du personnel enseignant pathogène. »

C’qui fait que lorsqu’un thérapeute demande de remplir un beau tableau cognitivo-comportemental, avec des comportements, des objectifs, des stratégies, ça me gosse. Beaucoup. Je vois pas ça différemment du plan d’intervention adapté (PIA) pour les élèves en difficulté : on essaie de le faire en avril puisque c’est là que le budget a été débloqué, même si on sait qu’il servira à rien parce que la psychoéducatrice est là une journée aux deux semaines pour faire le suivi. Je vois pas ça différemment du plan de réussite, où on se fixe l’objectif d’augmenter de 5 % le taux de réussite des examens ministériels, parce qu’une école avec la même cote de défavorisation fait mieux que nous.

C’que je vois, plutôt, ce sont des pratiques managériales qu’on surimpose à des problèmes humains. L’atteinte d’objectifs, comme fin en soi, vient directement de la culture d’entreprise. Qu’on s’entende bien : mon esprit scientifique a toujours apprécié les données probantes, l’efficacité, l’optimisation. Mais ça permet pas de régler tous les problèmes.

D’autant plus que, dans mon cas, c’est contre-productif : un de mes problèmes (dans une société ultra compétitive où on juge encore sévèrement les femmes), c’est l’anxiété de performance et l’anxiété sociale. Chaque fois qu’on me réfère à une professionnelle différente pour m’évaluer, j’stresse parce que j’ai peur de pas assez souffrir et qu’on me refuse un service. Si on me donne une liste d’objectifs à atteindre pour me soigner, j’vais juste vouloir overachiever ma guérison.

Et comme dans beaucoup d’approches d’optimisation, j’ai vraiment l’impression qu’on travaille plus sur la forme que sur le fond. C’est du patchage à court terme. Une thérapeute peut ben me donner comme objectif concret et réaliste d’être capable de fréquenter le Jean Coutu où travaille un parent d’élève, ça change rien à ma honte d’avoir échoué à enseigner à son enfant. C’est pas différent de quand les professionnels visent une diminution quantitative du nombre de fois où l’élève interrompt l’enseignante, ce qui change rien au fait qu’elle l’a tough et que c’est sa façon de réclamer de l’amour, de l’écoute et de l’attention.

Ma nouvelle thérapeute me disait récemment :

« Bon, voilà, alors tel comportement est mésadapté. Par quoi le remplaceriez-vous ? Qu’avez-vous utilisé comme stratégies pour adopter un comportement adapté dans votre ancienne thérapie ? Comment font vos collègues ? Quelles stratégies adoptent-ils pour travailler sans s’épuiser ? »

Et moi de répondre, sous son regard éberlué :

« Ben, je sais pas… dans mon ancienne thérapie on parlait, ma psy me recadrait parfois, mais on travaillait sur les causes de mes problèmes. Une fois la cause réglée, les comportements disparaissaient par eux-mêmes. Pis pour le reste, j’vois pas comment me comparer. Mes collègues ont pas 5 niveaux dans leur classe. J’veux dire, oui, on peut se détacher en s’investissant pas émotionnellement au boulot, mais j’travaille avec des humains, j’vois juste pas comment c’est possible, ça fait partie d’la job. »

La conversation a pas été super fertile. Réduire tout à une question de choix, de comportements appropriés ou adaptés sans gratter plus le fond, sans voir les conditions sociales, les inégalités, les oppressions, j’trouve ça malsain, nuisible. J’avais-tu juste le droit d’avoir mal pis de trouver le monde laid, sale et injuste ? Oui, j’avais l’droit, j’avais vraiment l’droit.

Juste en math, y’avait des élèves de 5 niveaux dans ma classe : 3, 4, 5, 6 et certains étaient sous-scolarisés, donc d’âge 5e, mais de niveau 1re-2e. Pour le français, c’tait à peu près la même chose. Avec le reste, les troubles de comportement, les troubles d’apprentissage, les interventions à faire sur le choc migratoire, les entrées continues, le quotidien, c’était trop à gérer. J’ai pété au frette. Faudrait en plus que je me culpabilise d’avoir craqué ?

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Faire école

Faire école. Profession enseignante, société et santé mentale
Capucine Esther Beauchemin
Éditions Somme toute, septembre 2020
(disponible à partir du 15 septembre)
193 pages