L’auteur Denis Goulet, professeur associé à la faculté de médecine de l’Université de Montréal, est un spécialiste en histoire de la médecine et des maladies. Il aborde les épidémies d’hier à aujourd’hui au Québec dans ce livre.

Le Québec, depuis le XIXe siècle, a été touché à plusieurs reprises par des épidémies et les façons d’en limiter les effets ont considérablement varié au fil du temps. Il en est de même des attitudes, des représentations et des modèles explicatifs qui ont ponctué l’histoire de ces épidémies. Il faut souligner aussi qu’elles sont liées à des contextes socioculturels et économiques particuliers. Les épidémies de choléra et de typhus sont largement liées à l’arrivée massive d’immigrants et aux échanges marchands qui s’accroissent avec l’Europe. D’autres maladies infectieuses endémiques comme la tuberculose, la diphtérie et les maladies diarrhéiques, qui tuent quasiment un enfant sur cinq, sont directement liées à la pauvreté́ des populations les plus touchées.

La variole

[…] Cette maladie, dénommée aussi « petite vérole », est causée par un orthopoxvirus dont la contagion principale est provoquée par les contacts interhumains. L’insalubrité et l’exiguïté des logements sont les principales causes sociales de sa propagation.

Rappelons que c’est au début du XIXe siècle qu’est utilisé par les médecins le premier vaccin de l’histoire (antivariolique). Il est issu de l’observation que la variole des vaches transmise à des humains permet de les immuniser contre la variole humaine, maladie alors très meurtrière. Dès 1821, une loi « pour encourager l’inoculation de la vaccine » favorise cette nouvelle pratique préventive et une vaste campagne permet de vacciner, entre 1815 et 1822, plus de 32 000 personnes au Canada.

Cependant, l’absence d’une connaissance des causes réelles et des vecteurs de maladies infectieuses, la qualité très variable du vaccin antivariolique et, surtout, la transmission de maladies à plusieurs vaccinés font en sorte que cette approche donne, à cette époque, des résultats mitigés. Soulignons que, les instruments pour injecter la variole des vaches n’étant pas désinfectés, certains microbes pouvaient se faufiler chez le vacciné. Du reste, de nombreux médecins s’opposent à cette pratique qu’ils ne connaissent guère.

Après un premier engouement pour la vaccination, les autorités préfèrent s’en remettre aux mesures de quarantaine, à l’isolement des malades et à la désinfection des habitations. Ce nouveau procédé préventif tarde donc à s’implanter et il ne fit guère l’unanimité jusqu’à la fin du siècle et au-delà.

Des épidémies de variole plus ou moins sévères ponctuent les années 1800 jusqu’à celles, plus importantes, de 1875 et 1885.

La première survient à l’été 1875 et frappe principalement les villes portuaires en bordure du Saint-Laurent. La ville de Montréal est durement touchée et l’Hôpital civique des variolés, mis sur pied l’année précédente, ne suffit plus à accueillir les patients. Les autorités, débordées et à court de moyens pour endiguer l’épidémie, décident de rendre obligatoire la vaccination, au risque d’aviver les tensions entre les autorités municipales et la population. De fait, une telle mesure adoptée sans consultation de la population provoque de graves émeutes dans la ville de Montréal. […]

Peu après la fin de l’épidémie, le DJoseph Emery-Coderre, professeur à l’École de médecine et de chirurgie de Montréal, convainc quelques collègues de former la Ligue contre la vaccination « compulsoire ». […] Elle sera dissoute quelques années plus tard. Le DEmery-Coderre fait par ailleurs paraître une brochure intitulée « Étude sur les effets de la vaccination » qui dénonce cette pratique qu’il juge très dangereuse. Le mouvement contre la vaccination obligatoire commence dès lors à prendre des proportions importantes, mais le retrait de cette mesure par les autorités sanitaires calme le jeu. D’autant que la profession médicale est divisée sur cette question.

L’histoire se répète en 1885 alors qu’une autre épidémie de variole frappe durement Montréal. Au plus fort de l’épidémie, soit vers la mi-septembre, 30 personnes par jour meurent de la variole à Montréal et 218 dans la seule semaine du 16 au 23 septembre. Ce sont surtout les enfants qui sont atteints par la maladie. Les docteurs William Hingston et Emmanuel Persillier-Lachapelle recommandent la vaccination, mais certains médecins, dont évidemment le DCoderre, la déclarent inutile ou dangereuse.

Débordée par l’ampleur de l’épidémie, la Ville de Montréal se range du côté des partisans de la vaccination antivariolique et la rend à nouveau obligatoire. Une telle mesure coercitive et improvisée est adoptée sans qu’on ait fourni aux citoyens des informations sur cette pratique déjà largement controversée. Une certaine partie de la population, affolée par l’épidémie, refuse la vaccination. Il y a aussi des résistances à d’autres mesures fort impopulaires telles que l’isolement des malades, le placardage des maisons ou encore l’obligation d’hospitaliser les enfants atteints de la maladie.

Le journal Herald attise la colère en attribuant l’épidémie à la malpropreté de la population canadienne-française. […]

Des émeutes éclatent les 28 et 29 septembre : la foule lacère les affiches ordonnant la vaccination ou placardées sur des maisons contaminées. Elle assiège le bureau de santé du faubourg de l’Est, y met le feu, puis se dirige vers l’hôtel de ville et y brise des vitres. La police charge à coups de bâton. La foule, un moment dispersée, se reforme pour briser les vitres du Herald et pour menacer les maisons des médecins vaccinateurs. Le maire Beaugrand fait appel à 600 militaires pour faire respecter l’ordre. Les vaccinateurs doivent se faire accompagner par des policiers.

Une directive de Mgr Fabre enjoint aux fidèles de se laisser vacciner. Mais de nombreux opposants à la vaccination laissent courir la rumeur que le vaccin est plus dangereux que la variole et qu’il est susceptible de causer des décès. À terme, l’épidémie fauche près de 6000 personnes, parmi lesquelles on compte plus de 3000 victimes à Montréal. Pour l’ensemble du Québec, près de 20 000 personnes sont atteintes de la maladie et 13 000 demeurent défigurées pour la vie. […]

L’apparition successive de ces épidémies au XIXe siècle pousse les autorités politiques et médicales à mettre en place les premières mesures d’assainissement publiques. Les épidémies de choléra et de typhus renforcent les proclamations de quarantaine et incitent les autorités à instaurer un examen médical obligatoire pour les immigrants et à mettre sur pied des bureaux de santé temporaires qui pourront, en cas de besoin, ordonner des mesures de nettoyage, de purification, de ventilation ou de désinfection.

Brève histoire des épidémies au Québec
Du choléra à la COVID-19
Denis Goulet
Septentrion
180 pages