Dans cet essai, Hervé Fischer présente l’hyperhumanisme comme un humanisme augmenté, grâce aux hyperliens numériques de l’internet et des médias sociaux. L’humanité développe ainsi une conscience augmentée face aux catastrophes et aux violences insupportables.

Il faut désormais prendre en compte les réseaux sociaux, sans lesquels le mouvement des Gilets jaunes, après tant d’autres, n’aurait pu se constituer, ni se maintenir. Et désormais, c’est la planète entière qui a suivi les manifestations des Gilets jaunes.

Ce manifeste hyperhumaniste n’est pas un texte de circonstances changeantes voué à s’effacer avec elles.

On n’y analysera pas le détail des revendications populaires, des cahiers de doléances, ni les rebondissements politiques qui sont encore à venir. Nous présentons ici une réflexion de fond, dont l’actualité, bien au-delà de l’insurrection des Gilets jaunes, concerne beaucoup plus largement et pour longtemps la planète Terre.

À l’âge du numérique, la donne humaine diverge partout et pas seulement en France, même si en France, une fois de plus, la conscience politique s’y est exprimée en contestataire pionnière.

Une incrédulité généralisée

Nous ne croyons plus ni dans les dieux, ni dans les politiques, ni dans les intellectuels, ni dans le progrès humain. La perte de crédibilité de l’humanisme traditionnel et le nihilisme déboussolé du postmodernisme y ont une large part de responsabilité, qu’il faut d’abord considérer. Mais cette fois-ci, ce ne sera pas la faute à Voltaire ni à Rousseau, qui ont certes développé un esprit critique porteur de changements sociaux en leur temps, mais qui n’ont pas été des révolutionnaires eux-mêmes.

Les intellectuels sont le plus souvent des bourgeois assez privilégiés et qui n’ont pas nécessairement cette conscience basique de l’injustice sociale et de l’éthique qu’il faut faire prévaloir.

Ou, s’ils en ont conscience, ils demeurent trop pessimistes pour croire à des changements possibles. Un bon intellectuel ne se doit-il pas d’être pessimiste ? Question d’intelligence ! Mais ils se trompent souvent. Il ne faut pas s’étonner que les intellectuels n’aient pas su voir venir, ni soutenu, l’insurrection des Gilets jaunes, qui leur ont bien rendu la monnaie de la pièce, leur jetant à la face des flots de haine où ils mêlaient, dans les pires moments, des invectives antieuropéennes, antisémites, anti-démocratie parlementaire, antimédias. Une vague qui a écumé chaque samedi dans toute la France pendant des mois, et que Jean Viard a caractérisée comme une « implosion démocratique ». Parmi ceux qui ont adopté la violence des casseurs, nous avons eu par moment l’impression de voir ressurgir des fantômes nazis. La haine et le ressentiment qui animaient un certain nombre d’entre eux ont fini par décrédibiliser ce mouvement spontané.

La démocratie est un mythe fragile, dont il faut prendre grand soin. La rébellion des Gilets jaunes, c’était le peuple qui se dressait contre l’élite dont il pensait dénoncer le mépris. Ce n’est pas sans risques que les Gilets jaunes s’en sont pris aux élus, aux journalistes et aux intellectuels notamment, comme tous les mouvements populistes. Il faut admettre que les intellectuels – dont je suis –, de droite ou de gauche, ont joué jusqu’à présent, malgré leurs travers et leurs erreurs parfois grossières, un rôle majeur dans le développement de la démocratie, de la culture et du progrès humain.

L’enjeu de ce livre est lié au développement exponentiel des réseaux sociaux, qu’on accuse à juste titre de multiplier les fausses nouvelles et de diffuser des propagandes populistes perverses, mais qui constituent aussi une plate-forme technologique inédite d’échanges humains et de conscientisation planétaire.

L’explosion des réseaux sociaux résonne comme une divergence historique de notre évolution humaine, une agora mondiale dont les effets transformateurs commencent à se faire sentir et qui va accélérer l’émergence de ce que j’appelle l’hyperhumanisme, un nouvel humanisme éthique catalysé par la multiplication des hyperliens numériques.

L’enjeu de ce livre est aussi de proposer une alternative civilisatrice aux utopies menaçantes, déshumanisantes du trans- et du posthumanisme américains, ces prétendues mutations digitales réservées aux riches pour échapper au vieillissement et à la mort. Il est vrai que les auteurs de ces chimères technologiques ne passent pas pour des philosophes, mais pour des gourous entrepreneurs, liés au monde des affaires, des intégristes du numérique enclins à l’hystérie digitale comme jadis nous avons connu les hystériques du catholicisme et aujourd’hui ceux de l’islam.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS DE L’AUBE

L’âge hyperhumaniste, d’Hervé Fischer, Éditions de l’Aube, 2019, 255 pages.