La réforme du droit de la famille vient à peine de lancer sa tournée de consultation que déjà, un oubli de taille apparaît dans les recommandations : la violence conjugale ou familiale dont les enfants sont témoins n’est souvent pas considérée par les tribunaux. Une brèche que la ministre de la Justice, Sonia LeBel, devra absolument colmater.

Malgré deux ans et plus de 600 pages de réflexions, un enjeu central a échappé au comité consultatif sur le droit de la famille : la violence dont un enfant, sans être personnellement ciblé, est témoin au sein d’un ménage. Dans l’évaluation de son bien-être au moment de la séparation, les juges n’ont aucune obligation d’en tenir compte. Un flou qui donne lieu à des situations déchirantes, a-t-on entendu à la deuxième journée de consultation, hier à Montréal.

Des avocats déconseillent à leurs clientes de mentionner cette violence au tribunal, de crainte qu’elles ne soient pas considérées comme un « parent amical », ou même qu’elles soient soupçonnées de tentative d’aliénation parentale, ont raconté des représentantes de maisons pour femmes violentées. Un enfant peut se voir imposer une garde partagée avec un parent dont il a peur, a aussi témoigné Refuge pour les femmes de l’ouest de l’île.

Le groupe d’experts piloté par le professeur Alain Roy, qui avait pourtant passé le droit actuel au peigne fin, n’avait malheureusement pas eu vent de ces situations. Ses recommandations, censées servir de point de départ à la réforme du droit de la famille, sont donc muettes là-dessus. Le problème est pourtant loin d’être négligeable.

L’an dernier, déjà, la Commission citoyenne sur le droit de la famille, organisée par la Chambre des notaires du Québec, a entendu des témoignages sur le sujet. Et comme on le voit, celui-ci n’a pas tardé à refaire surface.

La ministre de la Justice ne cesse de répéter que son document de consultation n’est qu’un point de départ et non le tracé à suivre. Tant mieux, car elle va devoir trouver un moyen d’intégrer cet aspect.

La réforme repose en effet sur un principe central : prioriser l’intérêt et les droits de l’enfant.

Les propositions dont on a parlé jusqu’ici sont plutôt de nature économique (prestation compensatoire pour le conjoint non marié qui a consenti à des sacrifices pour s’occuper de la famille, protection de la résidence familiale, etc.).

Les difficultés qui peuvent survenir au moment d’une séparation ne sont pourtant pas que financières.

Il faudrait être drôlement insensible pour prétendre que les enfants ayant vécu dans un contexte de violence familiale en ressortent tous parfaitement indemnes s’ils n’étaient pas eux-mêmes la cible.

Les tribunaux devraient avoir, au minimum, l’obligation de s’intéresser à leur état et à leurs préférences.

Ce serait d’autant plus facile qu’on ne part pas de zéro. L’article 33 du Code civil, qui prévoit que les décisions concernant l’enfant soient « prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits », énumère déjà une série de critères à prendre en considération, dont ses besoins « moraux, intellectuels, affectifs et physiques », son âge, sa santé et son caractère. Ajouter la présence de violence conjugale ou familiale tomberait sous le sens.

Ce ne serait d’ailleurs pas une révolution. Le projet de loi fédéral sur le divorce, actuellement à l’étude au Sénat, a inclus « la présence de violence familiale et ses effets » dans les facteurs que le tribunal doit considérer pour déterminer l’intérêt de l’enfant. Le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale suggère d’ailleurs de s’en inspirer.

Évidemment, il va falloir réfléchir aux formulations afin qu’elles ne donnent pas l’impression de pouvoir être détournées. Notre système de justice, on le sait, laisse souvent un goût amer à ceux qui en font l’expérience, et ce sentiment d’injustice semble particulièrement marqué en droit de la famille. Évitons d’en rajouter.

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Notre droit familial date de 1980. En ce temps-là, presque 9 petits Québécois sur 10 naissaient encore dans une famille unie par le mariage, une structure qui prévoit des règles de partage claires en cas de séparation. Aujourd’hui, moins de 4 enfants sur 10 naissent de parents mariés.

Dire que notre droit n’est plus en phase avec la réalité est un grossier euphémisme.

Six ans et trois ministres de la Justice ont passé depuis que la Cour suprême a reconnu, dans l’affaire Éric et Lola, que notre Code civil était discriminatoire envers les conjoints de fait. Contrairement au précédent gouvernement libéral, qui s’est honteusement défilé devant la tâche, la CAQ s’y est attaquée en début de mandat. Et la ministre LeBel, présente à plusieurs séances de consultation, semble avoir un réel intérêt pour le dossier. Tant mieux, car si on veut espérer avoir une réforme digne de ce nom avant la prochaine échéance électorale, il va falloir y aller rondement.

> Voyez l'horaire des consultations publiques

Quand on ne peut plus compter sur le mariage…

Proportion des enfants qui naissent de parents mariés

1965 : 95 %

1980 : 86 %

1995 : 50 %

2007 et après : 37 à 38 %

Proportion des mariages qui se terminent par un divorce

1970 : 10 %

1985 et après : 50 %

Unions de fait qui se terminent par une séparation

Années 90 et suivantes : 49 %

Source : Consultation publique sur la réforme du droit de la famille : document synthèse, Justice Québec, 2019