Le projet de loi 21 sur la laïcité vient à peine d'être déposé que les sillons se creusent profondément entre les clans : ceux qui crient de joie et les autres, qui se désolent. Ce projet dit faire primer les droits collectifs sur les droits individuels (comme la liberté de religion) et utilise la disposition de dérogation pour se soustraire aux poursuites : toutefois, ce projet apparaît disproportionné quant au résultat souhaité, à savoir que la laïcité soit respectée dans les institutions publiques.

En effet, que je sache, les institutions comme le Parlement, la justice, l'instruction publique ou la santé sont déjà laïques. On souhaite donc « consacrer » la chose, en décidant d'ôter le crucifix de l'Assemblée nationale, ce qui est une bonne idée, mais en interdisant les signes religieux jusqu'aux enseignantes et enseignants, quitte à bafouer des droits fondamentaux, une avenue bien risquée.

Pour justifier la clause dérogatoire, certains évoquent l'histoire de la loi 101 sur l'affichage, mais la comparaison est boiteuse. Si la langue française est partagée par les Québécois, on ne peut en dire autant des croyances. Religions et langue ne peuvent être mises sur le même pied. Une langue peut être commune, mais les croyances sont diverses.

Une langue du passé

De plus, en parlant de langue, quelque chose est passé inaperçu, soit l'usage du masculin aux pages 13 et 14 du texte du projet de loi 21, qui nomment les personnes visées par l'interdiction : « un » juge de paix, « un » membre, « un » arbitre, « un » commissaire, « un » ministre, « un » avocat, « un » agent de la paix... etc. Ça ne marche pas en 2019. Il est complètement dépassé de lire des textes de loi qui ne rendent pas compte de la réalité contemporaine, qui veut que le féminin doive être pris en considération. Le gouvernement devrait être un modèle en ce qui concerne la langue utilisée dans les textes officiels et on comprend mal que le masculin l'emporte sur le féminin à une époque où la rédaction épicène et la féminisation des titres deviennent la norme.

Une vision du passé

Et cela est bien ironique, car ce sont surtout des femmes qui se verraient obligées (utilisons le conditionnel, puisque le projet n'est pas encore adopté) de laisser leur voile à la maison, quand elles voudront postuler pour des emplois d'enseignantes dans des écoles... À moins qu'elles aillent travailler dans des écoles religieuses. Sinon, où donc pourraient-elles enseigner ?

Et justement, comment se fait-il que les écoles religieuses soient encore financées par l'État, si celui-ci veut à tout prix afficher sa laïcité ? Continuer à subventionner les écoles confessionnelles est en totale contradiction avec le projet du gouvernement.

Des femmes contestent déjà

Un groupe d'organismes, parmi lesquels la Fédération des femmes du Québec, la Fondation Paroles de femmes et L'R des centres de femmes du Québec, a déjà exigé le retrait du projet de loi. Mais elles ne sont pas seules, puisque la Ligue des droits et libertés, l'Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité, des syndicats, la commission scolaire English-Montréal, et bien d'autres groupes s'opposent au projet de loi. Une grande manifestation aura d'ailleurs lieu le dimanche 14 avril qui rassemblera le clan des « inclusifs » parmi lesquels beaucoup de femmes. De son côté, le ministre responsable affirme qu'il ne reculera pas, même s'il invite le public à venir présenter ses points de vue en commission parlementaire.

Retour du balancier

De leur côté, les membres de Québec solidaire (QS) sont revenus sur leur adhésion à la position de la commission Bouchard-Taylor, qui semblait jusqu'à maintenant un compromis acceptable, et même souhaitable. Mais, en incluant la catégorie des enseignantes et enseignants dans ce projet, le gouvernement a provoqué la colère et voilà que l'aspect raisonnable et consensuel de Bouchard-Taylor paraît aujourd'hui bien insuffisant. Ce qui a donné aux militants de QS une occasion de signifier leur opposition en rejetant toute interdiction de signe religieux.

Au lieu de se rapprocher, on dirait que deux clans au Québec sont en train de s'éloigner. Ceux qui se réjouissent que l'on ait « enfin » un projet de loi vont peut-être un peu vite : la paix sociale risque de ne pas être pour demain si le projet reste tel quel.

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