J’ai décidé de vous parler d’eau en cette semaine où les effets dommageables de la crue printanière sont omniprésents dans les médias. J’ai une pensée pour toutes les victimes des eaux du Saint-Laurent et de ses tributaires.

Pourquoi sommes-nous nombreux à apprécier la proximité et la vue de l’eau qui provoque tant de cauchemars printaniers ? Chercheur japonais et grand spécialiste de la sylvothérapie, le docteur Qing Li raconte que de toutes les couleurs, le vert et le bleu de la nature sont les plus reposantes pour un humain, dont les yeux sont moins bien façonnés par l’évolution pour admirer le béton.

Le bleu et le vert de la nature diminuent notre anxiété et notre stress, car pendant une très grande partie de notre évolution, nous avons arpenté les espaces verts des forêts, des plaines et les savanes. Si, à défaut d’une vue sur l’eau, le vert du gazon nous rassure, c’est parce qu’il est surtout, selon l’auteur, associé dans notre cerveau plus primitif à la présence d’eau et, par conséquent, de nourriture. Le vert apaiserait l’angoisse de manquer d’eau des animaux lointainement venus des flots que nous sommes.

Tout a commencé lorsqu’une chance cosmique a positionné la Terre entre Mars et Vénus à l’intérieur de ce petit couloir du système solaire compatible avec la présence d’eau à l’état liquide. Si notre planète était plus proche de Mars, l’eau gèlerait, et si elle était plus proche de Vénus, ce serait l’évaporation. Le miracle de la vie s’est produit dans cette eau liquide il y a plus de 3,5 milliards d’années.

Les trois premiers milliards d’années de la vie se sont déroulés uniquement dans l’eau avant que végétaux et animaux primitifs n’entament la très difficile conquête de la terre ferme, il y a entre 500 et 430 millions d’années. 

Mais, en quittant cette mer primitive qui nous a couvés pendant si longtemps, on ne pouvait l’effacer de notre histoire.

Au contraire, nous l’avons internalisée ou enfermée dans nos corps sous forme de sang et autres liquides physiologiques salés qui baignent nos cellules et circulent dans nos vaisseaux sanguins, comparables à des rivières et à de minuscules ruisseaux.

Comme le dit si bien David Suzuki dans L’équilibre sacré, l’humain est un animal terrestre squattant une planète aqueuse. Notre Belle Bleue est recouverte à un peu plus de 70 % d’eau. Ce qui est aussi approximativement le pourcentage d’eau contenu dans un bébé humain naissant. Est-ce que c’est un hasard ? Pas tellement, car cette dépendance originelle à l’eau explique aussi qu’encore aujourd’hui, le développement de nos fœtus se fait dans une mer intra-utérine appelée le liquide amniotique. Même nos cellules sexuelles gardent encore cette mémoire de nos origines aquatiques lointaines. Les spermatozoïdes, par exemple, ressemblent à des têtards.

Disons que l’humain est un enfant venu des flots qui garde toujours dans son océan intérieur des souvenirs de ses profondeurs marines. Si nous sommes près de 97 % de la population du Québec à vivre à l’intérieur du bassin versant du Saint-Laurent, c’est pour être à côté de notre mère, pour mieux sentir ses caresses, s’accrocher à ses pas, boire de son eau et manger de sa nourriture.

Mais cette cohabitation n’est pas toujours harmonieuse et les désagréables chicanes ne datent pas d’hier. Ceux qui aiment l’histoire se remémoreront la crue printanière de 1643. Dans leur entreprise bien mystique de fondation de Ville-Marie, devenue Montréal, les inondations sont venues rapidement perturber le quotidien du sieur de Maisonneuve et de ses amis. C’est à coup de prières et de promesses célestes que les colons avaient juré à la Sainte Vierge de lui ériger une croix en guise de remerciement. Cette fameuse croix dont la descendance trône encore sur le mont Royal est là pour témoigner des caprices du système du Saint-Laurent qui représentent à la fois le cœur, le sang, l’artère principale et les vaisseaux secondaires du Québec.

L’eau, c’est à la fois la vie et la mort. Entre les deux états extrêmes, elle peut aussi incarner le bonheur et le malheur.

Pensons aux larmes de tous ces gens qu’on voit pleurer à la télé parce que leur maison a été malheureusement envahie par les systèmes du Saint-Laurent.

Pourtant, comme une maman apaisant son bébé, cette eau salée qui s’écoule de nos yeux quand on a le vague à l’âme nous soulage aussi de bien d’autres naufrages intérieurs. Pour une solution durable à cette crue printanière porteuse de drames, il va falloir s’adapter, revoir l’aménagement du territoire et, surtout, s’attaquer aux changements climatiques.

Nous avons introduit un virus dans l’ordinateur de mère Nature, qui nous a mis au monde et a accompagné notre fulgurante ascension au sommet de l’arbre de la création. La voilà maintenant qui regarde ces enfants terribles, insouciants et irrespectueux à son égard que nous sommes en disant cette sagesse : « Si l’arbre savait ce que lui réserve la hache, il ne lui aurait pas fourni le manche. »