Une immatriculation non renouvelée, une contravention non payée (finalement payée) dont on a perdu la trace pendant quelque temps, on s'entend, ce n'est pas le Watergate, mais la façon dont le maire Denis Coderre a géré cette histoire démontre un autoritarisme d'une autre époque.

Denis Coderre s'est présenté hier comme une victime dans cette affaire. Pardon, mais victime de quoi ? Victime de la démocratie ? Parce que c'est de ça, précisément, qu'il s'agit ici.

Dans les véritables démocraties, les élus rendent des comptes et les journalistes posent des questions. Si les élus appellent les chefs de police chaque fois qu'un journaliste pose des questions à leur sujet, on va manquer de flics au Québec après deux jours.

Des histoires sur les politiciens, on en entend chaque semaine. Certaines sont farfelues ou carrément malveillantes, d'autres font partie des légendes. D'autres sont montées en épingle par des adversaires et elles se dégonflent naturellement. D'autres encore sont fondées (et d'intérêt public, le critère primordial pour décider si on publie ou non) et d'autres sont simplement impossibles à confirmer. Tous les journalistes d'enquête ont dans leurs tiroirs une ou deux très grosses histoires qui mourront avec eux parce qu'ils sont incapables d'obtenir les confirmations cruciales à leur publication.

Un politicien d'expérience comme Denis Coderre, qui est reconnu pour jouer les coudes plutôt haut dans les coins de patinoire, devrait savoir que des groupes intéressés (syndicat, lobby) ou des individus (adversaires politiques ou, pire encore, « amis » de la même famille politique) vont nécessairement tenter de l'embarrasser avec des révélations ou en mettant les médias sur des pistes.

Après, les journalistes font leur travail. La preuve en est, avec mon collègue Patrick Lagacé, qu'il n'a pas publié l'histoire de l'immatriculation après avoir fait ses vérifications. Où donc est le grand tort dont se plaint le maire Coderre ?

Patrick Lagacé, comme tous les journalistes, est payé, justement, pour fouiller des histoires et il ne s'est pas introduit par effraction chez Denis Coderre pour lui subtiliser des dossiers et n'a pas caché de micros dans la doublure du veston du maire. Il a posé des questions. C'est grave, très grave même, si le maire de la plus grande ville du Québec ne comprend pas (en fait, ne veut pas comprendre) que c'est comme cela que ça fonctionne.

Les partis de l'opposition à l'hôtel de ville posent eux aussi beaucoup de questions (c'est leur rôle). Va-t-on aussi demander à la police de surveiller les membres de l'opposition ? Et les opposants du maire, un coup parti ?

Des sources de la scène politique municipale m'ont raconté récemment qu'en début d'année, des gens d'affaires influents ont tâté le terrain auprès de certaines personnes parce qu'ils cherchaient un adversaire au profil économique à opposer au maire Coderre pour les élections de 2017. Ou envisageaient eux-mêmes de se présenter.

D'autres m'ont dit que le maire Coderre fait de plus en plus de la microgestion et que ses conseillers et lui font régulièrement des pressions dans les arrondissements et auprès de certains groupes pour s'imposer. Il y a même des gens près de Denis Coderre qui critiquent son style de leadership et s'en plaignent aux journalistes.

C'est la joute politique : un maire aussi puissant que Denis Coderre sait très bien qu'il dérange, qu'il brasse et qu'il déplaît.

M. Coderre s'est défendu hier au micro de Paul Arcand en disant que c'est le « citoyen Coderre » qui a appelé le chef de police de l'époque, Marc Parent, pour se plaindre du fait que des policiers divulguaient des renseignements à son sujet. De un, le « citoyen Coderre » est indissociable du « maire Coderre », et ce, tant qu'il sera à ce poste. Si M. Coderre se faisait arrêter pour vol à l'étalage ou pour méfait public, il ne pourrait pas dire qu'il est un simple citoyen, sans statut particulier.

De deux, les simples citoyens ne peuvent pas appeler directement le chef de police. Seul le maire, qui est son boss, peut le faire. D'où l'importance de manipuler le téléphone avec jugement et parcimonie, et surtout pas par frustration de constater que des gens font circuler des choses à notre sujet. Ça aussi, ça fait partie de la « game », comme on dit.

Loin de moi l'idée de minimiser ce nouvel épisode de la saga de la surveillance de journaliste, mais je ne peux pas dire que cela me surprend vraiment. Je connais et couvre Denis Coderre depuis plus de 20 ans. C'est un politicien de la vieille école, qui aime bien donner des coups, mais qui supporte mal d'en recevoir.

En 2002, lorsqu'il était ministre de l'Immigration dans le gouvernement Chrétien, M. Coderre s'était retrouvé dans l'embarras après qu'un journaliste eut écrit qu'il avait séjourné gratuitement dans le condo de Claude Boulay, à L'Île-des-Soeurs, une information qu'il avait pourtant niée formellement dans des entrevues précédentes. Claude Boulay, ami de longue date de M. Coderre, était le patron d'Everest, une firme de relations publiques, qui avait obtenu plus tard un contrat du ministère du Patrimoine, dans le domaine du sport amateur, dossier alors sous la responsabilité de Denis Coderre.

À l'époque, j'étais adjoint au directeur de l'information de La Presse et M. Coderre m'avait appelé pour me tenter de me dissuader de publier des articles sur ce qu'il considérait être du « salissage » et une intrusion dans sa vie privée. Je relate cette conversation dans mon livre Nos amis les politiciens, publié en 2014, et, en particulier, cette phrase de M. Coderre :  « Tu sais, Vincent, nous autres aussi on peut se mettre à fouiller dans la vie privée des journalistes, on a les moyens de le faire, ça peut être laid si on commence ça... »

Je me demande si c'était le citoyen Coderre qui était au bout du fil ce jour-là.