(Note de la rédaction: l'article suivant a été modifié après sa publication initiale pour attribuer le crédit à des sources externes) Il y a 40 ans, le maire Jean Drapeau donnait l'ordre à des employés municipaux de démolir les 16 oeuvres géantes de l'exposition Corridart, commandées par le comité organisateur des Jeux olympiques.

Un énorme scandale qui a montré un côté sombre du maire Drapeau.

En comparaison, celui qui secoue le monde de l'art depuis quelques jours est tout petit. Mais c'est quand même un tout petit scandale de trop. Le maire Coderre, opposé au choix du lieu pour l'installation temporaire de la reproduction d'une des oeuvres de Corridart, vient de supprimer la subvention promise de 10 000 $. Ce n'est pas de la censure, mais une forme d'autoritarisme inutile.

Je vous explique.

Dans le cadre d'une rétrospective sur Pierre Ayot (1943-1995), le commissaire et critique d'art Nicolas Mavrikakis a eu l'idée de reproduire l'oeuvre créée en 1976 par cet artiste pour Corridart : une réplique de la croix du mont Royal, couchée sur le côté (44 pieds de long, 20 pieds de haut et 4 pieds de large). Une affaire de 32 000 $, dont 10 000 $ promis par le Bureau d'art public de Montréal.

Le lieu d'exposition choisi est le terrain du côté est de l'avenue du Parc, au nord de l'avenue des Pins, au parc Jeanne-Mance, devant le mur du couvent des Religieuses hospitalières de Saint-Joseph.

En 1976, avant sa démolition sauvage, l'oeuvre était exposée rue Sherbrooke, au coin de l'avenue McGill College. Pierre Ayot voulait que sa croix semble être venue se reposer quelques moments au bas de la montagne. En l'installant au parc Jeanne-Mance, près des bâtiments de l'Hôtel-Dieu, le commissaire Mavrikakis et sa collègue Marthe Carrier souhaitaient susciter une réflexion sur la nécessité de protéger le patrimoine religieux dont le sort est incertain.

Le projet a reçu toutes les autorisations nécessaires. Le Conseil des arts de Montréal et l'arrondissement Le Plateau-Mont-Royal ont donné leur accord. Et le ministère de la Culture et des Communications a délivré un permis pour l'installation de l'oeuvre au parc Jeanne-Mance, de la fin de septembre à la mi-décembre.

Mais le maire Coderre s'y est opposé. Pas question, a-t-il dit. Ça pourrait heurter des sensibilités religieuses.

Il a proposé, la semaine dernière, à quelques jours du début des travaux, de déménager l'oeuvre à la place Émilie-Gamelin : « Je ne suis pas contre l'oeuvre d'art. Mais je voulais qu'on fasse preuve de délicatesse parce [qu'il était question de] mettre une croix devant les Hospitalières de Saint-Joseph», a expliqué le maire de Montréal lors d'une entrevue au Devoir*. 

Cette crainte est-elle fondée ? Pas vraiment. L'oeuvre de Pierre Ayot ne constitue pas une charge anticléricale agressive. Elle cherche plutôt à nourrir une réflexion sur notre passé et notre patrimoine religieux.

« Ce n'est pas une critique, ce n'est pas un blasphème. C'est une croix qui n'est pas brisée, qui n'est pas à l'envers. Posée au sol, elle fait beaucoup référence à une station de croix, au Christ portant sa croix et qui s'affaisse sous le poids de son fardeau. C'est très émouvant », a déclaré la directrice du Musée des beaux-arts de Montréal, Nathalie Bondil, interrogée par Le Devoir*.

Les commissaires Mavrikakis et Carrier ont d'ailleurs tenté en vain de parler aux religieuses pour les rassurer.

Même si cette oeuvre n'a rien de choquant, il est possible qu'elle déplaise ou mette mal à l'aise certaines personnes, comme les religieuses. Mais est-ce vraiment une raison pour vouloir l'éloigner de leur vue ? La réflexion critique est un élément de la vie démocratique, y compris la critique de la religion et de ses symboles.

Vendredi, les deux commissaires ont annoncé qu'ils déclinaient l'invitation du maire et qu'ils avaient l'intention d'exposer l'oeuvre, comme prévu, au parc Jeanne-Mance. La réaction du maire n'a pas tardé : on supprime la subvention.

« On va solliciter les dons du public », réplique Marthe Carrier. Une campagne de sociofinancement, en cours sur le site Indiegogo, avait déjà permis d'amasser plus de 9000 $ en fin de journée, hier.

La Ville n'a rien gagné dans ce bras de fer, même si elle était animée par de bonnes intentions. Au contraire, elle envoie de mauvais messages. Une image d'autoritarisme à l'égard du monde de la culture. Et une image d'une ville frileuse, qui va à l'encontre de tous les efforts pour présenter de Montréal le portrait d'une ville moderne, cool et branchée.

* L'article suivant a été modifié après sa publication initiale pour attribuer le crédit à des sources externes