Le chef de la CAQ, François Legault, a depuis quelques mois entraîné son parti dans un virage populiste en se faisant défenseur de l'identité québécoise et en suggérant que le Québec se dote en matière d'immigration de nouvelles règles tant pour protéger les « valeurs québécoises » que pour défendre la langue française en forçant la francisation des immigrants.

Il propose notamment de réduire les cibles d'immigration au Québec de 20 % (les faisant passer de 50 000 à 40 000 par année) et d'imposer aux nouveaux arrivants des tests pour vérifier s'ils adhèrent aux « valeurs québécoises ». Il avait en 2015 parlé de tests de français. Malheureusement, à part leur quotient électoraliste (surtout dans la région de Québec, semble-t-il), ses propositions sont non seulement inapplicables, mais inacceptables.

Plusieurs écueils apparaissent en effet dès qu'on envisage leur application. Quelques questions caustiques : quelles sont ces valeurs québécoises qu'on veut les voir adopter et comment mesurera-t-on leur adhésion à celles-ci, outre leur tenue vestimentaire ? Leur demandera-t-on qui est Louis-Joseph Papineau, quelles sont les principales clauses de l'accord du lac Meech ou les vertus de la poutine ?

Que fera-t-on dans le cas d'un couple dont un des membres aurait réussi le test de valeurs et l'autre non ?

L'attribut de la citoyenneté étant une prérogative fédérale, comment forcera-t-on Ottawa à refuser la citoyenneté à un demandeur qui aurait échoué à ce test ? C'est bien connu, le diable est dans les détails ! Quant aux quotas, la question se discute, mais pas à partir de raccourcis racoleurs (- 20 %).

Mais surtout, la proposition de la CAQ est moralement et humainement indéfendable. Les Québécois qui se disent d'accord avec celle-ci ont-ils réfléchi cinq minutes à la réalité de l'émigration, cet exil généralement involontaire, ce déracinement, ce déchirement familial, ce saut dans l'inconnu rempli d'espoir, mais aussi d'angoisses et de peurs ?

On acceptera aisément qu'un criminel ou un fraudeur soit refoulé. Mais le sort que la CAQ veut infliger à un immigrant (et à sa famille) qui aurait vu sa demande d'immigration acceptée pour être ensuite refoulé pour avoir échoué à un test de « valeurs québécoises » est révoltant et devrait susciter l'indignation de tout être humain qui se respecte, en particulier de ceux qui se disent humanistes.

Le Québec moderne a été formé par de multiples vagues d'immigration qui se sont imposées à la population autochtone et se sont mélangées : Français, Anglais, Écossais, Irlandais, Allemands, Scandinaves, Juifs ashkénazes, Polonais, Grecs, Italiens, Chinois, Vietnamiens, Levantins, Latino-Américains, Maghrébins, etc.

LES ERREURS DU PASSÉ

Ce métissage n'a pas toujours été facile et il a donné lieu à de nombreuses frictions, comme pourraient en témoigner les descendants de ces immigrants qui ne font pas partie des deux groupes principaux. Notre bilan historique est déjà entaché par le sort que nous avons réservé aux Irlandais au XIXe siècle, aux Juifs pendant l'entre-deux-guerres et aux Japonais pendant la Deuxième Guerre mondiale, pour ne nommer que ceux-là, sans que nous en rajoutions à ces infamies.

Mais ce flux migratoire a généré au bout du compte une société relativement harmonieuse où ces immigrants ou leurs descendants se sont intégrés malgré leurs différences religieuses ou linguistiques, comme chacun d'entre nous pourrait en témoigner.

Si nos ancêtres avaient appliqué les idées du chef de la CAQ et imposé des tests de valeurs, combien de ces immigrants qui contribuent à la richesse de notre société auraient été refoulés ? Le terrorisme islamiste, les peurs identitaires ou le rejet du multiculturalisme ne doivent pas justifier des politiques qui vont à l'encontre de l'impératif catégorique de Kant, qui nous impose face à l'immigration une attitude d'empathie critique.