Le 11 juillet dernier, vers 15 h, une centaine de soldats portant l'uniforme de l'armée du Soudan du Sud ont forcé les barrières d'un complexe hôtelier de Juba, la capitale de ce jeune pays.

Avec sa piscine et son court de squash, le camp de Yei Road formait une ultime bulle de paix au coeur d'une ville emportée quelques jours plus tôt par une frénésie de violence.

Une cinquantaine d'employés d'organisations internationales y avaient trouvé refuge après la rupture du traité de paix signé un an plus tôt entre le président Salva Kiir et son ex-vice-président, Riek Machar.

Cet après-midi de juillet, la bulle a éclaté sous la rage et la violence des soldats de l'armée nationale. Ceux-ci ont froidement abattu un journaliste local dont les scarifications démontraient qu'il appartenait à l'ethnie nuer - celle du rebelle Riek Machar. Le président, lui, appartient à l'ethnie dinka.

Divisés en petits groupes, les soldats ont semé la terreur, se livrant à des pillages systématiques et des viols collectifs. Des étrangères figurent parmi les victimes, selon un rapport bouleversant publié cette semaine par Human Rights Watch.

« Des témoins ont affirmé que des militaires applaudissaient tandis qu'ils violaient à tour de rôle une ou deux femmes dans une pièce, relate le document. Ils ont souvent menacé les femmes de mort si elles ne se soumettaient pas. Dans un cas de tentative de viol, un militaire a battu la femme avec la crosse de son fusil, puis un autre lui a tiré une balle à côté de la tête. »

Ce cauchemar s'est étiré pendant 19 interminables heures. Les Casques bleus de l'ONU, pourtant au courant de la situation et stationnés à tout juste un kilomètre de là, ne sont pas intervenus. Il faut dire que l'armée nationale, l'APLS, avait restreint les mouvements de la mission de paix au Soudan du Sud, refoulant les troupes à l'intérieur de leurs bases.

Le Soudan du Sud s'enfonce dans la violence depuis le début de l'été, dans l'indifférence générale. Comme elle a pris pour cible des Occidentaux, la sordide attaque du 11 juillet aura brutalement mis ce conflit sur la carte. L'ONU a réagi en décidant de dépêcher 4000 Casques bleus supplémentaires au Soudan du Sud. Et en annonçant une enquête sur ce qui s'est passé ce jour-là au complexe de Yei Road.

Mais pour les observateurs de ce conflit, ces deux mesures restent nettement insuffisantes. D'autant que la situation risque de se dégrader dans les semaines qui viennent.

La fuite de Riek Machar, annoncée hier, ouvre la perspective d'une vague de violence ethnique renouvelée, craint David Bekele, directeur de la division Afrique de Human Rights Watch.

« C'est un signe très inquiétant d'une situation extrêmement dangereuse, dit David Bekele. L'effondrement du gouvernement d'unité nationale pourrait présager une flambée des hostilités. »

Surtout si les étrangers, effrayés par les attaques, devaient décider de quitter massivement le pays.

***

Car le ciblage délibéré de ressortissants étrangers n'est peut-être pas le simple fruit du hasard, avance Kyle Matthews, directeur adjoint de l'Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne, à l'Université Concordia.

« De plus en plus d'Occidentaux critiquent le gouvernement du Soudan du Sud ; en visant des étrangers, on a voulu leur envoyer un message : ne vous mêlez plus de nos affaires. »

- Kyle Matthews, Institut montréalais d'études sur le génocide et les droits de la personne

M. Matthews craint aussi que cette explosion de violence n'incite des ONG internationales à plier bagage, laissant la voie libre aux massacres, hors du regard international.

Le Soudan du Sud a sombré dans la guerre civile en décembre 2013. Le président Kiir et le rebelle Machar ont accepté à l'été 2015 de fonder un gouvernement d'union nationale pour faire cesser les combats, mais la paix n'a été qu'une illusion, constate Alex Neve, secrétaire général de la section canadienne d'Amnistie internationale. Car l'entente n'a jamais été pleinement respectée. D'autant que l'un des piliers de cet accord, le tribunal hybride devant juger les responsables des crimes commis pendant la guerre civile, n'a toujours pas vu le jour.

Sur le terrain, la situation ne cesse de se dégrader. Depuis le début de l'été, les combats ont touché des zones civiles, qui ont été frappées par des tirs d'artillerie, et même des bombardements.

« Au moins deux millions de personnes ont dû quitter leur foyer à cause du conflit, des milliers de personnes ont été tuées et la crise alimentaire s'étend à tout le pays », énumère Alex Neve, selon qui cela devrait suffire à propulser ce pays au sommet des priorités internationales.

Que peut-on faire pour empêcher d'autres massacres ? Amnistie internationale et HRW réclament à hauts cris l'imposition d'un embargo sur les ventes d'armes à ce pays. Alex Neve n'en revient pas qu'après deux années et demie de guerre, cette mesure n'ait toujours pas été prise. Une entreprise canadienne, Streit Group, a d'ailleurs contribué à armer le Soudan du Sud en lui procurant plus de 170 blindés, théoriquement destinés à la police. Mais qui, selon la CBC, auraient été utilisés à des fins militaires. La transaction a eu lieu en 2014, en pleine guerre civile.

Interdire les ventes d'armes. Faire pression sur l'Union africaine pour faire avancer le dossier du tribunal devant juger les responsables des crimes de guerre. Allonger la liste des Sud-Soudanais frappés par des sanctions pour y inclure ceux qui ont empêché les Casques bleus d'intervenir, en juillet. Réitérer le mandat des Casques bleus pour qu'ils engagent toutes leurs forces pour protéger les civils - quitte à transgresser les ordres du gouvernement sud-soudanais.

C'est un minimum, si on veut empêcher le pire.