Après Cannes, Villeneuve-Loubet et la petite commune de Sisco, en Corse, une autre ville française vient de bannir les burkinis sur ses plages.

Cette fois, il s'agit du Touquet, dans le Pas-de-Calais. Personne n'a jamais vu l'ombre d'un burkini sur les dunes du Touquet, mais le maire de la ville est prévoyant. « Nous ne voulons pas être pris au dépourvu si jamais nous sommes touchés par ce phénomène », a-t-il affirmé en annonçant sa décision.

Le burkini relève, selon lui, d'un « prosélytisme religieux » contraire aux « valeurs et principes » de la France. Fin juillet, le directeur général de Cannes, la ville à l'origine de la vague anti-burkini, avait associé ce vêtement de plage à « une tenue ostentatoire qui fait référence à des mouvements terroristes qui nous font la guerre »...

Le maire de Sisco, Ange-Pierre Vivoni, s'est pour sa part résolu à bannir le burkini au lendemain d'une violente confrontation qui a éclaté sur une plage municipale lorsque des vacanciers ont voulu photographier des baigneuses d'origine maghrébine. En frappant le burkini d'interdit, il espère « protéger » la population de la ville et « éviter la propagation de l'intégrisme ».

Finalement, le tribunal administratif de Nice, saisi de l'affaire par des organisations de défense des droits de la personne, a jugé que ces restrictions se justifient « dans le contexte d'état d'urgence et des récents attentats islamistes à Nice ».

Jusqu'à présent, sept mairies ont adopté des mesures anti-burkini en France ou ont annoncé être sur le point de le faire.

Récapitulons : les ennemis du burkini estiment que ce maillot pose une menace grave pour les plages françaises, au point de justifier une suspension de libertés constitutionnelles. On lui reproche aussi de défier les valeurs nationales. De menacer la sécurité et l'ordre public. Et d'être une nouvelle incarnation du terrorisme islamiste.

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Tout ça pour un maillot créé il y a une décennie par une jeune styliste australienne d'origine libanaise, Aheda Zanetti.

Après avoir vu sa nièce empêtrée dans des couches de tissus encombrantes à la plage, la jeune femme a eu l'idée d'un maillot de polyester composé d'un pantalon ajusté et d'une tunique rattachée à un foulard. Moitié burqa, moitié bikini - d'où son nom.

But de l'opération : permettre aux musulmanes de profiter sans entraves des joies de la plage. Les libérer, et non les emprisonner...

Grâce au burkini, de jeunes musulmanes australiennes ont pu non seulement nager, jouer au volleyball ou au baseball, mais aussi travailler comme sauveteuses.

Le vêtement lui-même n'est absolument pas conforme aux exigences du califat islamique. Les salafistes font disparaître les femmes derrière des burqas qui recouvrent tout leur corps, incluant les mains, les pieds et le visage. À leurs yeux, les tuniques colorées laissant le visage découvert constituent ni plus ni moins qu'une hérésie.

Bref, l'argument d'une tenue de plage reliée au mouvement djihadiste ne tient pas la route. Les autres arguments anti-burkini non plus. En revanche, la multiplication des décrets interdisant ce vêtement de plage ouvre la porte à une kyrielle de dérapages et d'absurdités.

La militante écologiste Elen Debost en sait quelque chose, elle qui a été interpellée à deux reprises par le maître-nageur d'une piscine publique. Allergique au soleil, elle portait une tunique blanche, un chapeau et des lunettes. Tenue non conforme, lui a-t-on signifié... « C'est la première fois que ça m'arrive alors que je porte ce genre de protection depuis toujours », s'étonnait-elle hier sur Facebook. Plusieurs de ses « amis » ont immédiatement associé l'incident à la vague anti-burkini qui déferle sur le pays.

Comme vous pouvez le voir sur les photos ci-haut, un burkini s'apparente grosso modo à une combinaison de surf. Ce qui l'en distingue, ce sont les intentions que l'on prête à celles qui le portent : prosélytisme religieux, asservissement de la femme, terrorisme... Qui départagera désormais entre les maillots coupables et innocents ? Les femmes allergiques au soleil devront-elles apporter un billet de médecin à la plage ? Bonjour les maux de tête.

L'argument de sécurité publique, brandi par le maire de Sisco, tombe lui aussi à plat. L'explosion de violence sur une plage de sa commune est regrettable. Elle témoigne des tensions interethniques qui déchirent la ville. Mais ces tensions disparaîtront-elles dès que l'on interdira les burkinis ? N'y a-t-il pas déjà des lois pour interdire la violence ? Qu'est-ce que le burkini vient faire dans cette galère ?

Enfin, dans un pays qui prône la liberté vestimentaire absolue sur les plages, comment justifier que les femmes puissent s'y balader sans soutien-gorge, en micromaillot, avec un fichu ou un chapeau sur la tête - mais pas dans une combinaison de polyester recouvrant leurs cheveux ?

Et que cherche-t-on à obtenir au juste par ces décrets anti-burkini ? Sortir les femmes qui le portent de l'espace public ? Nourrir leur ressentiment contre une société qui les rejette ?

La vague anti-burkini équivaut à « céder nos libertés individuelles au profit d'une logique autoritaire et discriminatoire qui, dans le premier cas, vise les femmes en continuant d'en faire une minorité politique opprimée et dans le second cas, vise les musulmans en les constituant en minorité à exclure », écrit Edwy Plenel, fondateur du site Mediapart. Voilà qui résume bien la véritable nature de cette frénésie contre un vêtement qui n'est dangereux que parce que ceux qui l'interdisent y projettent leurs propres peurs.

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L'affaire des burkinis annonce un automne chaud en France, alors que la décision du tribunal administratif de Nice sera revue par d'autres instances judiciaires, que le port des signes religieux en entreprise sera scruté par la Cour de justice européenne, qu'une nouvelle loi sur le travail autorisera les employés à voter la neutralité religieuse dans leur entreprise. Sans parler de la nomination pressentie de l'homme politique Jean-Pierre Chevènement à la tête de la Fondation pour l'islam de France. Avant même d'arriver en poste, il a suggéré aux musulmans de se montrer « discrets ». Ça promet.