(Note de la rédaction: l'article suivant a été modifié après sa publication initiale pour attribuer le crédit à des sources externes) Aussi bien le dire tout de suite, dans la chicane qui oppose Ottawa et Québec sur la protection de la rainette faux-grillon, je prends pour la rainette, cette minuscule grenouille de 2,5 cm menacée par l'étalement urbain dans le sud de la province.

Pourquoi ?

Parce que je crois que le développement urbain doit aller de pair avec la protection de la biodiversité.

Et que l'important projet immobilier Symbiocité menace la survie de cette espèce en Montérégie, un de ses derniers habitats au Québec. La rainette faux-grillon a déjà perdu 60 % de son habitat entre 1992 et 2013. Encore quelques années, et elle sera définitivement rayée de la carte québécoise.

Mais la querelle qui oppose Ottawa et Québec dépasse la seule protection d'une grenouille en péril, aussi mignonne soit-elle.

Cette querelle est de nature politique.

La décision d'Ottawa d'adopter mercredi un décret d'urgence pour limiter le développement d'un projet immobilier de 300 millions de dollars, dans le Bois de la Commune, à La Prairie, a provoqué la colère du ministre de l'Environnement, David Heurtel, pour deux raisons. Un : elle vient contredire la décision de son gouvernement. Deux : elle soulève des questions sur l'exercice des compétences provinciales en matière d'environnement.

« Ce qui est dommage, a dit le ministre Heurtel questionné par un journaliste du Devoir*, c'est que le gouvernement fédéral prend une décision sans travailler en collaboration avec l'ensemble des partenaires. C'est une approche qui est unilatérale, une approche qui va à l'encontre du fédéralisme collaboratif qu'on espérait et qu'on avait vu depuis l'arrivée du nouveau gouvernement à Ottawa. Avec cette décision, qui est une première au Canada, on décide d'agir sans travailler dans une optique de développement durable et d'atteinte d'un équilibre. »

Je comprends la colère du ministre Heurtel. Un gouvernement du Québec, peu importe lequel, n'accepte jamais que le gouvernement fédéral intervienne dans ce qu'il estime être son propre champ de compétence. « La décision soulève des questions sérieuses au niveau des compétences du Québec, a dit le ministre. Et peut-être une possible intrusion du fédéral dans les compétences du Québec. »

Mais ce que je comprends moins, c'est pourquoi son gouvernement a autorisé ce projet malgré les avis contraires de ses propres experts.

Comme le rapportait hier mon collègue Éric-Pierre Champagne, le ministère de l'Environnement a donné le feu vert à Symbiocité, en dépit de quatre avis scientifiques de l'équipe de rétablissement de la rainette faux-grillon publié depuis 2007, soutenant que le projet de La Prairie représentait un danger pour la grenouille.

Au terme de négociations avec le promoteur et les intervenants municipaux, Québec avait approuvé des mesures de protection de 83 % de l'habitat de la rainette dans ce secteur de La Prairie. Le décret d'Ottawa, le premier à porter sur un habitat en terres privées, assure une protection de 100 % de ce même territoire de 2 km2.

Le message qu'envoie la décision fédérale, unanimement saluée par les groupes environnementaux, est que la Loi sur les espèces en péril peut être utilisée par le Canada lorsqu'une province n'assume pas son rôle de protecteur de la biodiversité.

Résultat : 171 des 1200 habitations prévues dans le cadre du projet Symbiocité ne pourront pas être construites. Cette décision risque de faire perdre 1 million de dollars en taxes foncières par année à la municipalité de La Prairie.

Mais ce n'est pas la fin de cette histoire qui alimente le débat depuis 2002. Le décret fédéral, qui entrera en vigueur le 17 juillet et qui s'applique aux municipalités de La Prairie, Candiac et Saint-Philippe, sera sans doute contesté devant les tribunaux parce que c'est une première en terres privées.

En attendant, il va falloir que les deux ministères de l'Environnement, à Québec et à Ottawa, se parlent pour ne pas envoyer des messages contradictoires en matière de protection des espèces en péril.

Tout ça pour une petite grenouille.

* L'article suivant a été modifié après sa publication initiale pour attribuer le crédit à des sources externes