Elle était jeune, énergique, engagée, ouverte, empathique et profondément européenne. La députée Jo Cox a été poignardée et abattue hier, ce qui a donné une dimension tragique à la campagne référendaire qui déchire le Royaume-Uni, et qui décidera de son maintien ou de sa sortie de l'Union européenne.

Comme toujours dans ce genre d'attaques, nous ignorons pour l'instant les motivations de son assassin. Peut-être souffrait-il de problèmes de santé mentale, peut-être était-il hanté par des démons qui n'ont rien à voir avec la politique. Peut-être a-t-il fait un amalgame entre sa propre démence et des idées qui flottent dans l'air du temps.

Peu importe. Ce meurtre, survenu exactement une semaine avant un vote crucial, peut difficilement être dissocié du débat sur le « Brexit. »

D'abord, parce que Jo Cox a pris une part très active dans la campagne référendaire. Il y a une semaine, elle a signé un texte dans le Yorkshire Evening Post, faisant valoir qu'une sortie de l'UE ne réglera d'aucune façon les problèmes d'immigration en Grande-Bretagne. Et que cet argument des eurosceptiques ne tient pas la route.

La veille de sa mort, elle avait pris part, avec son mari et leurs deux filles, à une « flottille » pro-européenne sur la Tamise. Celle-ci visait à faire contrepoids à une flottille pro-Brexit et a donné lieu à une confrontation loufoque entre les deux camps. Bref, Jo Cox était plongée jusqu'au cou dans la campagne référendaire, du côté des pro-UE.

La politicienne de 41 ans était préoccupée par le sort des réfugiés syriens, par la situation des femmes, par le développement international - elle avait notamment combattu l'esclavage alors qu'elle travaillait pour OXFAM. Respect des droits de la personne, égalité, solidarité : ce sont les valeurs fondatrices du projet européen. Ces valeurs sont aujourd'hui menacées par la montée de la droite partout en Europe, et particulièrement en Europe de l'Est où des partis populistes et eurosceptiques ont accédé au pouvoir.

À noter aussi que plusieurs témoins ont entendu le meurtrier crier « Britain First » au moment où il se lançait vers Jo Cox, couteau à la main. « Britain First » est une formation politique ultranationaliste britannique, qui s'est dissociée de cette attaque. Mais ça donne une coloration politique aux intentions de l'assassin.

Finalement, le meurtre vient porter à son paroxysme le ton de plus en plus acerbe que prend le débat référendaire, à quelques jours du vote de jeudi prochain.

Un exemple : l'UKIP, le parti le plus farouchement pro-Brexit, a lancé cette semaine une campagne publicitaire qui présente la sortie de l'Union européenne comme une solution à une présumée invasion de migrants.

Le chef de ce parti indépendantiste, Nigel Farage, a posé hier devant une immense affiche où les mots « Breaking Point » (point de rupture) surplombent une foule de migrants à la peau plus ou moins basanée. Le reste du message est à l'avenant : « L'Europe nous a trahis, nous devons nous libérer... »

Comme l'écrivait hier Alex Massie, chroniqueur du Spectator, ni Nigel Farage ni la campagne du « Leave » ne sont responsables de l'assassinat de la députée Jo Cox.

« Mais ils sont responsables de la manière dont ils ont exposé leurs arguments. » En d'autres mots, ils ont contribué à créer un climat haineux dans l'espoir de fouetter leurs troupes et promouvoir la sortie de l'Union.

Et ce climat délétère a peut-être motivé l'homme qui a tué Jo Cox.

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Avec ce meurtre, la campagne en vue du référendum du 23 juin ne sera plus jamais la même. Elle a perdu, brutalement, tout ce qui lui restait de légèreté et d'innocence.

Et il est possible que l'Union européenne soit, elle aussi, emportée par une crise dont elle émergera peut-être vivante - mais plus tout à fait la même.

« L'Europe vit un schisme, nous ne sommes plus d'accord sur les valeurs européennes et on ne sait plus trop ce qu'on fait ensemble », résumait mardi le journaliste français Jean Quatremer, de passage à Montréal dans le cadre d'une conférence sur le Brexit.

« On entend dans plusieurs pays des langages peu compatibles avec l'esprit européen, l'Europe doit se réformer rapidement, sinon les populismes vont monter », a averti Enrico Letta, ex-ministre italien et eurodéputé, également de passage à Montréal à l'invitation de l'Université de Montréal.

J'ai rencontré Enrico Letta, ainsi que le commissaire européen aux affaires économiques, Pierre Moscovici, mardi, en marge de la Conférence de Montréal du Forum économique international des Amériques.

L'Europe émerge tout juste de deux crises sans précédent, une financière, l'autre liée à l'afflux des réfugiés, et s'apprête à plonger dans la crise du Brexit, ont-ils tous deux reconnu. Tout en admettant qu'un divorce entre l'UE et la Grande-Bretagne causerait un douloureux électrochoc. Pour l'UE, ou pour ce qui en restera, la seule réponse à ces turbulences, c'est de foncer vers l'avant en s'intégrant davantage, croit Pierre Moscovici.

« Le camp du Leave n'a pas vraiment su démontrer que les Britanniques seraient mieux sans l'Europe, mon souhait c'est que la rationalité l'emportera et que le camp du Remain gagnera », a dit ce politicien français.

Ce souhait a-t-il des chances de se réaliser ? C'est ce que je vais essayer de mesurer à compter de lundi, de Londres.

AFP, Daniel Leal-Olivas

Le chef de l'UKIP, Nigel Farage