Quand il a annoncé sa candidature à l'investiture républicaine, devant sa tour de 65 étages à Manhattan, par un beau jour de juin dernier, Donald Trump avait provoqué des haussements d'épaules et des ricanements.

Le Tout-Washington s'attendait à ce que le magnat de l'immobilier à la tignasse orangée se fasse rapidement éjecter de la course, pour céder la place à des candidats plus sérieux.

« Voici pourquoi Trump ne gagnera pas », assurait un analyste un mois après l'entrée en scène de celui qui était perçu comme un bouffon. D'autres titres ont suivi. « Ne vous inquiétez pas au sujet de Trump. » « Trump ne gagnera pas. » Ou encore, mon préféré : « Si Trump gagne, je vais manger cette chronique... »

Dana Milbank, le chroniqueur du Washington Post qui a pris ce curieux engagement l'automne dernier, devra maintenant passer à table... Car en 10 mois de campagne, le milliardaire new-yorkais a réussi à écarter, l'un après l'autre, ses 16 adversaires. Et l'impensable a eu lieu : le candidat républicain à la Maison-Blanche, c'est lui.

Son couronnement a déclenché une nouvelle vague d'incrédulité. Trump président ? Impossible, Hillary Clinton, qui est en voie de remporter l'investiture démocrate, n'en fera qu'une bouchée, a-t-on lu ces derniers jours sur les réseaux sociaux. Même qu'ils sont nombreux à penser que la victoire de Trump est, en réalité, une excellente nouvelle pour elle...

D'abord, cet écart de popularité est loin d'être insurmontable. À l'été 1988, le gagnant des primaires démocrates de 1988, Michael Dukakis, menait par 20 points contre son adversaire républicain George Bush père, rappelle Gil Troy, historien à l'Université McGill. On sait qui a gagné la présidentielle qui a suivi. Depuis son entrée en politique, Donald Trump a d'ailleurs remonté une pente bien plus abrupte.

Spécialiste de l'histoire des présidents américains, Gil Troy note aussi que par certains aspects, Trump n'est pas un élément aussi étranger qu'on pourrait le penser dans le paysage politique des États-Unis.

« D'une certaine façon, il incarne le rêve des pères fondateurs de la Constitution américaine, il rejoint leur idéal d'un président-citoyen qui s'est fait connaître dans une autre sphère d'activité avant d'accéder à la présidence. »

Autrefois, ces candidats se rendaient célèbres en servant dans l'armée. C'était le cas de George Washington, ou celui d'Andrew Jackson. Tandis que Trump, lui, s'est illustré dans des investissements immobiliers et la téléréalité : autres temps, autres héros...

Sa démagogie n'est pas non plus inhabituelle. « Sa façon de jouer sur la peur du gouvernement, sur la nostalgie d'une grandeur passée des États-Unis et sur les frustrations des gens est enracinée dans la rhétorique politique traditionnelle », dit encore Gil Troy.

Darrell Bricker, président aux affaires publiques pour la firme de sondages Ipsos, croit lui aussi que l'écart entre Clinton et Trump n'est pas infranchissable. D'autant plus que la candidate démocrate incarne l'establishment, Wall Street et le « système », ce trio honni par une grande partie des électeurs, peu importe leur affiliation politique.

Chez les démocrates, ces électeurs ont donné leur appui à Bernie Sanders. Chez les républicains, ils ont choisi Donald Trump.

Lors de l'élection primaire du New Hampshire, à Manchester, j'avais rencontré des électeurs écartelés entre ces deux positions extrêmes, hésitant entre Sanders et Trump.

Ce ne sont pas des ovnis politiques, et ils représentent bel et bien un phénomène particulier à cette étrange campagne 2016 marquée, d'abord et avant tout, par le rejet des élites et le désir de changement, plus que par la dynamique droite-gauche, croit Darrell Bricker.

Entre les pro-Sanders qui voteront pour Trump en se bouchant le nez et ceux qui ne voteront pas du tout, par simple dégoût du système politique, et face à une adversaire qui représente le statu quo, Donald Trump pourrait très bien faire son plein de votes. Surtout s'il met quelques bémols sur les aspects les plus controversés de ses discours. Il a d'ailleurs déjà commencé à diluer ses propos : il y a un moment qu'on ne l'a pas entendu parler du mur qu'il voulait faire construire à la frontière avec le Mexique, engagement qu'il a répété comme un mantra pendant les premiers mois de sa campagne.

Le désir de changement et le rejet des élites peuvent conduire à de drôles de résultats. Après tout, les Torontois ont bel et bien élu un certain Rob Ford, rappelle Darrell Bricker...

« C'est trop facile de dire que les républicains ont fait un choix suicidaire avec Donald Trump », souligne ce sondeur. Les dés sont loin d'être jetés, et cette campagne peut encore réserver bien des surprises.

Ainsi, pensez-y bien avant de parier sur Hillary Clinton. Vous pourriez bien devoir passer à table.