Le choix devant lequel était placé Pierre Karl Péladeau, c'est celui auquel tous les parlementaires sont confrontés : la famille ou la politique.

Seules les circonstances changent d'un élu à l'autre.

Le renoncement du député d'arrière-ban sera évidemment moins lourd que celui de chef, il n'aura pas à sacrifier ses enfants au nom de son implication.

Le critique de l'opposition devra travailler plus fort pour trouver un semblant d'équilibre, mais il y arrivera tant bien que mal en dosant les deux.

Mais la dure réalité, c'est qu'au fur et à mesure qu'un député se rapproche du pouvoir, que ce soit dans son parti ou au gouvernement, il se rapproche du renoncement, du sacrifice incontournable de l'un ou de l'autre.

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C'est horrible, c'est tragique. Je suis le premier à le reconnaître, ayant moi-même eu deux parents en politique.

Mais c'est ainsi. La politique, dans son fondement même, est un engagement et un renoncement. C'est une implication pour le plus grand nombre, et un désengagement pour le plus petit.

Appelons ça l'inconciliation politique-famille.

On ne peut tout simplement pas servir l'État de 9 à 5, cinq jours par semaine, et être à la maison tous les soirs pour les devoirs, les soupers et les dodos.

Servir, c'est accepter de réagir aux urgences quand elles surviennent, répondre aux critiques quand elles se formulent, aider un électeur quand il se présente, assister aux soirées quand elles se tiennent...

Servir, qu'on le veuille ou non, est un verbe qui se conjugue à l'impératif.

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C'est bien évident qu'il faut rendre la politique active plus attrayante pour les jeunes parents. Il faut s'efforcer d'attirer plus de femmes, plus de mères au Parlement. Il faut ouvrir plus grande la porte de nos institutions démocratiques.

Il faut tout faire, bref, pour améliorer la conciliation travail-famille. Mais on se berce d'illusions si l'on croit qu'on peut faire plus que de petits ajustements ici et là. On se raconte des histoires si l'on pense pouvoir en faire autant en politique qu'en entreprise, là où il y a tant de gestes concrets et rapides à faire.

On me répondra que le monde change et que la politique doit s'ajuster, elle aussi. C'est vrai. Mais la volonté de conjuguer les rôles de père et de député a beau être plus grande qu'à l'époque où mon père servait sous l'Union nationale, la distance est toujours aussi grande entre les circonscriptions. Le travail de terrain est aussi nécessaire. Les imprévus sont aussi nombreux. Et la capitale est toujours aussi loin de la métropole.

Bien dur, dans ces circonstances, de rêver à des familles réunies tous les soirs autour du potage !

Contrairement à Obama, les députés n'ont pas la chance d'avoir leur bureau, leur personnel, leurs réunions et leur famille sous un même toit !

Et s'ils déménagent leurs enfants de Saguenay à Québec ou de Rouyn à Limoilou pour en être plus proches, ils ne pourront pas les border chaque nuit, soyons honnêtes. Les travaux en Chambre se déroulent dans la capitale, comme bien des rencontres du caucus et des réunions qui s'étirent. Mais c'est à Saguenay et à Rouyn qu'ont lieu les soupers-spaghettis, les séances de porte-à-porte, les rencontres avec les électeurs, les réunions avec les notables...

Quand je grandissais à Québec, je me souviens très bien que j'avais l'impression que ma mère passait son temps à Montréal. Et le jour où on a emménagé à Montréal, j'avais la triste impression qu'elle était toujours à Québec !

Donc tant mieux si on réduit le nombre de votes en soirée et qu'on élimine les débats du vendredi, mais cela n'empêchera pas les élus de manquer la plupart des entraînements de hockey et des soupers de famille.

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On répète depuis lundi que PKP a été « forcé de choisir entre ses enfants et la politique ». Soyons précis : il a été forcé de remettre en question le choix qu'il avait fait l'an dernier - la politique - au risque de perdre ses enfants.

Heureusement, ai-je envie de dire, il a choisi ces derniers. Un choix responsable dans le contexte qui est le sien. Un choix que personne ne regrettera. Un choix, je l'avoue, qui m'aurait rendu très fier s'il avait été celui d'un de mes parents en pareilles circonstances.

Pierre Karl Péladeau était de toute évidence déchiré lorsqu'il a annoncé sa décision. Un déchirement qui fait écho à celui que vivent tous les membres du Parlement. Un déchirement qu'on doit tenter de rendre moins douloureux, c'est sûr, mais qui demeurera le prix à payer pour servir ses concitoyens.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Karl Péladeau entouré de sa famille, en mai 2015