En Syrie, les attaques contre les hôpitaux sont devenues si courantes que pour échapper aux bombes, les médecins pratiquent de plus en plus dans la clandestinité.

Les cliniques se déplacent régulièrement pour éviter d'être repérées. Et certains hôpitaux en sont réduits à se réfugier dans des grottes, voire dans des poulaillers, raconte la présidente internationale de Médecins sans frontières, Joanne Liu.

Cette organisation humanitaire soutenait l'hôpital qui a été bombardé par les forces progouvernementales à Alep, mercredi dernier, à 22 h. L'attaque a fait une cinquantaine de morts, dont Muhammad Wassem Maaz, l'un des derniers pédiatres d'Alep.

Elle a aussi détruit de grands pans de cet hôpital qui offrait des soins d'urgence, d'obstétrique et de pédiatrie à des dizaines de milliers d'habitants de cette ville qui vient de replonger dans l'horreur de la guerre, après une brève accalmie.

Et hier, c'est un autre hôpital d'Alep, largement financé par le Canada, qui a été détruit par des frappes aériennes par les forces alliées au régime.

« C'est très douloureux de voir mourir des collègues, mais le pire, ce sont les civils qui perdent l'accès aux soins de santé au moment où ils en ont le plus besoin », déplore Joanne Liu, que j'ai rencontrée hier lors de son passage en coup de vent chez elle, à Montréal.

La veille, elle avait assisté à l'enregistrement de la prochaine émission de Tout le monde en parle. Mardi, elle doit se présenter devant le Conseil de sécurité de l'ONU pour le vote d'une résolution réaffirmant les droits des civils en temps de guerre. Et elle compte ne pas mâcher ses mots.

Car Joanne Liu n'en finit plus de s'insurger contre « les conflits sans limites qui bafouent toutes les règles de la guerre ». En Syrie, bien sûr, mais aussi au Yémen, en Afghanistan, au Soudan du Sud...

Lors de l'une de ces attaques, en octobre, l'armée américaine a anéanti un hôpital de MSF dans la ville afghane de Kunduz. Une enquête du Pentagone vient de conclure que ce bombardement résultait d'une série d'erreurs, mais ne constituait pas un crime de guerre.

L'ONG médicale avait réclamé une enquête indépendante pour faire la lumière sur cette attaque. Elle a reçu les excuses personnelles de Barack Obama. Mais l'enquête indépendante n'a jamais eu lieu.

Au cours de l'année 2015, 75 installations médicales soutenues par MSF ont subi 106 attaques et 12 ont été réduites à néant. La Croix-Rouge a documenté 2400 cas d'attaques contre ses cliniques et hôpitaux entre 2012 et 2014.

Par définition, les guerres font des dégâts, souligne Joanne Liu. Ce qui la choque surtout, c'est de constater à quel point ces attaques sont devenues banales. Et à quel point elles ne parviennent plus à émouvoir.

« Il est devenu NORMAL de frapper des marchés, des églises, des écoles, des hôpitaux... »

- Joanne Liu

D'où cet appel à l'ONU pour lui demander de réaffirmer les règles de droit humanitaire qui sont censées régir les conflits internationaux.

Qu'attend-elle du vote de mardi ? Un signal fort affirmant que les pays membres du Conseil de sécurité s'engagent à tout faire pour protéger les civils et épargner les services médicaux dans des zones de conflits. Et que les dérapages seront rapidement scrutés par des enquêteurs impartiaux, pour mettre fin à l'impunité actuelle.

Le vote du Conseil de sécurité est d'autant plus crucial que quatre de ses cinq membres permanents sont engagés dans des coalitions qui participent aux grands conflits actuels... « Et ce sont ces coalitions, pas les groupes non étatiques, qui nous attaquent le plus... Il faut bien mettre les points sur les i. »

Joanne Liu tient aussi à mettre les points sur les i et le poing sur la table dans un autre dossier : celui de la crise des réfugiés.

Ce qu'elle a vu dans l'île de Lesbos l'a profondément révoltée. Tous ces gens euphoriques d'avoir survécu à leur traversée se trouvaient plongés dans un nouveau cauchemar.

« Ils étaient traités comme du bétail, ils ne savaient pas où ils étaient ni ce qui les attendait. » - Joanne Liu

Un exemple parmi d'autres : les autorités grecques n'avaient pas cru bon de mettre sur pied des installations sanitaires.

« Tout le monde était obsédé par le manque de toilettes. Les femmes se retenaient toute la journée, c'était humiliant. » Résultat : une épidémie d'infections urinaires...

MSF a fini par quitter le centre d'accueil Moria, transformé en lieu de détention pour demandeurs d'asile. Elle planche aujourd'hui sur un bilan de l'accord entre l'Europe et la Turquie qui a « sous-traité le problème des réfugiés à un pays jugé trop incompétent en matière de droits de la personne pour pouvoir adhérer à l'Union européenne ».

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Les attaques contre les civils et la crise des réfugiés sont un peu les deux faces d'une même médaille : les premières nourrissent la seconde. Elles sont aussi, aux yeux de Joanne Liu, un révélateur de la montée de l'indifférence face aux conflits qui accablent la planète.

« La guerre est loin de nous, elle ne fait pas partie de notre quotidien, elle s'est déshumanisée, il n'y a plus de bottes au sol, alors on s'en détache émotivement. »

Pourtant, 1,5 million de personnes ont protesté contre la mort du lion Cecil, abattu par un braconnier, l'été dernier. C'est la preuve que l'humanité n'est pas condamnée à l'inhumanité... ce que la pasionaria de MSF compte bien continuer à nous rappeler.

PHOTO AMEER ALHALBI, AGENCE FRANCE-PRESSE

« C’est très douloureux de voir mourir des collègues, mais le pire, ce sont les civils qui perdent l’accès aux soins de santé au moment où ils en ont le plus besoin », déplore Joanne Liu, présidente internationale de Médecins sans frontières.