La volonté de Québec de soutenir l'innovation du secteur manufacturier en y injectant un demi-milliard en trois ans est bienvenue, mais elle ne suffira sans doute pas à accélérer la croissance économique du Québec.

Depuis le début du siècle, son activité économique a été plus lente que celle du Canada dans son ensemble, à l'exception de 2008 et 2009 : la Grande Récession a épargné le Québec davantage que le reste du Canada puisqu'il ne produit pas d'hydrocarbures et n'assemble plus de véhicules.

Le Québec a deux contraintes plus sévères que le reste du Canada : sa population vieillit plus vite et ses entreprises ont diminué davantage leurs investissements durant trois années d'affilée.

Les estimations démographiques annuelles de Statistique Canada montrent que 16 % de la population canadienne étaient dans la cohorte des 0-14 ans et 16,1 % dans celle des 65 ans et plus, en juillet dernier. Ce sont les portions de la population qui ne font pas partie en général de la population active, c'est-à-dire celle qui détient un emploi ou qui cherche du travail.

Pour le Québec, les proportions sont plutôt de 15,5 % et 17,6 %. Autrement dit, la relève est plus faible tandis que plus de gens quittent le marché du travail.

Les données de l'Enquête sur la population active de mars, publiées la semaine dernière, le confirment : depuis un an, la population active québécoise a diminué de 1500, parce que la cohorte des 15-24 ans a perdu 19 700 personnes.

L'augmentation de la population est une des deux composantes de la variation de la production potentielle d'une économie.

La Banque du Canada a publié mercredi une nouvelle analyse qui montre comment la tendance démographique actuelle diminue le potentiel de croissance du Canada, et, cela va de soi, du Québec encore plus.

La démographie, ou tendance factorielle du travail (TFT) selon le jargon des économistes, va diminuer la production potentielle parce que le poids plus important des 55-65 ans dans la population active signifie moins d'heures travaillées. À cette contrainte s'ajoute la faiblesse des gains de productivité qui découle de la baisse des investissements en machines, équipements et technologies de l'information.

Si les Prairies sont frappées par la chute des investissements dans les ressources depuis l'an dernier, le Québec vit des baisses généralisées depuis plusieurs années. Entre 2013 et 2015, la baisse a atteint 7,9 %, 11 % et 4,7 %, selon les données contenues dans le Plan budgétaire du ministre Carlos Leitao. Mince consolation, la saignée doit prendre fin cette année avec une stagnation : le niveau des investissements demeurera en 2016 à son creux des trois dernières années avant de remonter lentement par la suite.

C'est cette léthargie que la politique annoncée jeudi par la ministre Dominique Anglade vise à secouer.

UNE GROSSE COMMANDE

À l'échelle canadienne, la Banque du Canada estime que la croissance potentielle sera de 1,5 % seulement d'ici à 2018, avant de remonter à 1,6 % en 2019. De 2010 à 2014, elle était estimée à 2 %.

La Banque fait l'hypothèse que la reprise des investissements va plus que compenser la faiblesse de la TFT. Celle-ci compte pour 0,7 point dans la production potentielle de 1,5 % pour 2016, mais elle ne contribuera qu'à hauteur de 0,4 point sur 1,6 %, en 2020.

Comme la TFT diminue plus vite au Québec, il faudra donc que les investissements augmentent plus vite, seulement pour que l'écart de potentiel ne s'élargisse pas. Pour employer un euphémisme, c'est une grosse commande.

Dans le secteur manufacturier, l'augmentation des investissements est attendue surtout à compter de l'été et de l'an prochain par la Banque du Canada, à mesure que les usines tourneront à plein rendement.

Selon cette vision, le Québec devrait s'attendre à des injections de capitaux dans les produits du bois, le papier, le matériel de transport, les aliments, le meuble et les produits connexes comme les armoires, les portes et les fenêtres. Tous ces segments fonctionnent quasi à plein rapidement. Leurs produits sont très recherchés au sud de la frontière.

Toutefois, ce quasi plein rendement est avant tout le résultat d'une diminution du nombre d'usines ou de machines au cours des années passées.

Une étude récente des économistes de Groupe TD conclut que les capacités du secteur manufacturier canadien en 2014 correspondaient à 85 % tout au plus de la moyenne observée entre 2000 et 2010.

Dans ces conditions, une société papetière va-t-elle ajouter une machine à ses installations (un investissement qui peut facilement dépasser le milliard) ? Il est plus probable de voir des agrandissements d'usines de portes et fenêtres ou de transformation alimentaire, là où l'innovation, la recherche et le développement n'ont rien de nouveau.

Cela dit, l'économie québécoise repose surtout sur le secteur des services. C'est avant tout là que se créent les emplois et que, bon an, mal an, les exportations augmentent.

L'innovation et la R & D se font de plus en plus dans l'économie dématérialisée, là où, en prime, la main-d'oeuvre instruite a moins tendance à partir en retraite avant 65 ans.