Les déficits budgétaires successifs annoncés par Ottawa il y a deux semaines inquiètent plusieurs observateurs de la scène politique. N'ajouteront-ils pas quelque 90 milliards à la dette publique en cinq ans, somme à emprunter et pour laquelle il faudra payer des intérêts pendant plusieurs années ?

À ce boulet s'ajoutent les déficits de huit provinces cette année ainsi que les besoins d'emprunts pour financer des infrastructures provinciales et municipales.

Tout cela, sans compter les sommes plus considérables encore représentées par des tranches de dette qui arrivent à maturité et qui devront être refinancées.

Restera-t-il encore des capitaux pour combler les besoins d'emprunts des entreprises ?

Il est probable que les emprunts d'Ottawa (qui se sert en premier sur le marché obligataire) fassent augmenter légèrement les taux d'intérêt exigés par ses créanciers.

Selon l'analyse publiée hier par Warren Lovely, directeur général, recherche et stratégie secteurs publics, chez Banque Nationale Marchés financiers, l'augmentation pourrait être de l'ordre de 20 centièmes de point de pourcentage, toutes échéances confondues, et toutes choses étant égales par ailleurs, d'ici la fin de l'année. C'est peu dans un contexte où les taux d'intérêt sont en diminution quasi continue depuis le début du siècle.

Pour l'année en cours seulement, les besoins d'Ottawa en obligations totaliseront 133 milliards de dollars. Cela représente une augmentation de quelque 40 milliards sur 2015-2016 et constitue un nouveau sommet.

Les besoins des provinces, si on inclut certaines de leurs sociétés d'État comme Hydro-Québec, totaliseront de 70 à 75 milliards, selon les calculs de Jean-François Godin, vice-président à la recherche chez Desjardins, Marchés des capitaux. L'analyste ne peut être plus précis puisque seulement quatre provinces (Colombie-Britannique, Ontario, Québec et Nouveau-Brunswick) ont présenté leur budget pour l'exercice en cours, commencé vendredi.

Les taux consentis sur les emprunts d'une province sont basés sur le rendement des obligations du Canada, auquel est ajoutée une prime en fonction de sa note du crédit et de la liquidité de ses obligations. Les coûts d'emprunts provinciaux devraient théoriquement augmenter eux aussi de 20 centièmes.

Ce sera vraisemblablement un peu moins.

Ottawa a déjà annoncé qu'il allait concentrer ses emprunts dans les échéances de deux à cinq ans. Il va même relancer à l'été des obligations de trois ans, une pratique abandonnée il y a quelques années.

Les provinces recherchent du financement surtout dans des échéances plus longues, de 10 et de 30 ans.

Ainsi, entre avril 2015 et mars 2016, Québec a lancé 22 émissions pour un montant nominal de 10,8 milliards. De cette somme, 9 milliards représentent des emprunts de plus de 10 ans, dont 4 milliards à 30 ans.

Si Ottawa laisse le champ quasi libre aux provinces dans les échéances les plus longues, l'offre totale sera moins abondante.

Qui dit rareté, dit cherté. Dans un marché où les capitaux abondent et où la dette sûre représente un placement de choix, les prêteurs ne manqueront pas. En principe du moins, cela va exercer des pressions à la baisse sur les taux des obligations provinciales.

L'écart entre les rendements des obligations fédérales et provinciales devrait donc rétrécir quelque peu, dans la mesure où d'autres facteurs économiques comme une crise mondiale ne créent une grave perte d'appétit du risque au détriment de la dette des administrations non souveraines comme les provinces.

Cette année, le Plan économique du Québec déposé le mois dernier par le ministre Carlos Leitao indique que 13,8 milliards de la dette québécoise arriveront à maturité. Cette dette devra être refinancée. Québec a toutefois déjà réalisé 7,8 milliards d'emprunts par anticipation, une pratique répétée bon an, mal an à hauteur moyenne de plus de 5 milliards. Cela vise à combler ses besoins de refinancement et soutenir ses investissements en infrastructures.

Avec cette pratique, il ne sera pas possible de déterminer avec justesse quelles émissions serviront à financer la prise de participation de 1 milliard de dollars américains dans la coentreprise formée avec Bombardier pour la C Series.

La semaine dernière, une semaine après le dépôt du budget fédéral, Québec a réalisé un emprunt de 500 millions canadiens, venant à échéance en 2026. Le rendement au prêteur est l'équivalent de 2,334 %. Le 26 février, il avait consenti un taux de 2,446 % pour un emprunt semblable.

L'augmentation des coûts d'emprunts ne se fait pas encore sentir.

Photo Etienne Ranger, Archives LeDroit

Parlement Ottawa Canada Etienne Ranger,LeDroit