Ils ont encore frappé. « Ils », c'est-à-dire les djihadistes kamikazes affiliés au groupe État islamique (EI), qui a revendiqué le double attentat de Bruxelles, hier.

Comme à Paris, en novembre, ils ont pris pour cible des lieux publics très fréquentés, au coeur d'une grande ville européenne, pour maximiser le nombre de victimes. Ils ont semé l'horreur et la désolation, fait des dizaines de morts, plus d'une centaine de blessés.

La Belgique est plongée dans une « tristesse infinie », a écrit Béatrice Delvaux, éditorialiste du journal belge Le Soir, dans les heures qui ont suivi les attentats. De tels attentats ont beau se multiplier, ils n'en provoquent pas moins la stupeur et la consternation, suivies d'une vague d'empathie et de solidarité.

Du jour au lendemain, nous sommes tous Paris, nous sommes tous Bruxelles... Au-delà de cette vague d'émotion, hélas de plus en plus familière, surgissent des questions. Pourquoi maintenant ? Pourquoi la Belgique ?

Y a-t-il un lien, par exemple, entre cette double attaque et l'arrestation, quatre jours plus tôt, de Salah Abdeslam, dernier auteur vivant des attentats de Paris ?

Au moment d'écrire ces lignes, personne ne peut répondre avec certitude à cette question. Mais selon plusieurs analystes, ce lien est plausible. Pas tant comme geste de vengeance, mais plutôt comme un acte de défi, une sorte de pied de nez à la France et à la Belgique. Une manière de leur montrer que cette arrestation n'a rien changé à la force de frappe de l'EI. Et que pendant que les autorités recherchaient un djihadiste en fuite, d'autres attentats se préparaient à leur insu, souligne l'islamologue Mathieu Guidère dans une entrevue avec Le Figaro.

En d'autres mots, l'EI voulait faire une démonstration de puissance, montrer que pour chaque terroriste arrêté, d'autres peuvent prendre le relais. Une manière de dire : « Nous sommes plus forts que vous. »

Il faut dire que le terrorisme du XXIe siècle ne fait pas que semer la terreur. C'est un outil de propagande et de recrutement, un moyen de diffuser des messages à la planète entière et aux futurs kamikazes en herbe.

Que disent ces messages ? Qu'une cellule terroriste peut bien être détruite, d'autres cellules s'activeront. Que les mesures de sécurité sont inefficaces contre des gens prêts à mourir. Et surtout, que les reculs territoriaux qu'a connus l'EI en Syrie et en Irak n'enlèvent rien à sa force d'attraction ni à sa capacité de détruire.

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On l'a beaucoup dit et écrit, les attentats de Paris visaient l'insouciance et la joie de vivre de la capitale française. Cette fois, la terreur frappe la capitale de l'Union européenne. L'un des attentats s'est produit à deux pas de grandes institutions de l'UE. Il y a là une charge symbolique particulière, un défi aux valeurs européennes d'égalité et de tolérance. Des valeurs déjà fragilisées par l'actuelle crise des réfugiés qui sème de nouveaux murs en Europe...

Or, en plus de vouloir exhiber ses muscles, l'EI cherche lui aussi à attaquer ces valeurs, à accentuer le ressac antimusulman qui nourrit le sentiment d'exclusion des jeunes des cités françaises, ou encore ceux de la commune belge de Molenbeek, ce foyer djihadiste en Europe.

Ceux qui récupèrent les attentats terroristes pour prôner la fermeture des frontières, pour ostraciser les musulmans ou encore pour refouler les milliers de réfugiés syriens qui cognent aux portes de l'Europe tombent précisément dans le piège que leur tend l'EI... Car c'est encore le meilleur moyen de multiplier le nombre de candidats au djihad.

« Rien, absolument rien, pas même cette barbarie, ne doit nous empêcher de maintenir vivantes nos valeurs : la liberté, la tolérance », écrit l'éditorialiste Francis Van de Woestyne dans le journal Libre Belgique. Car selon lui, céder à la haine et à la violence équivaudrait à « donner raison aux fanatiques ».

Je ne peux mieux dire.

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Il y a eu Paris, deux fois. Il y a eu Bruxelles. Mais il y a aussi eu Ankara, Istanbul, la Côte d'Ivoire, le Mali, la Tunisie, le Burkina Faso... Les premiers massacres occupent des pages et des pages dans nos médias. Les autres passent parfois presque inaperçus.

À l'époque de l'attaque contre Charlie Hebdo, en janvier 2015, le groupe Boko Haram avait commis un massacre épouvantable, qui a coûté la vie à 2000 personnes dans un village du Nigeria. Cette tragédie a été pratiquement occultée, tant l'attention du monde était tournée vers Paris.

Chacun de nous, personnellement, réagit davantage quand l'horreur surgit au coin d'une rue familière, dans une ville où nous avons des points de repère, près d'une station de métro ou dans un café où nous aurions pu nous retrouver le jour d'un attentat.

Cette sensibilité particulière à ce que nous connaissons est évidemment normale. Mais en cette époque où la terreur frappe partout, au nord comme au sud, nous pouvons nous demander si, à nos yeux, certains morts ont plus de valeur que d'autres. Poser la question, c'est y répondre.