Malgré une année complète de détente quantitative (DQ) et de taux directeurs quasiment au plancher, la Banque centrale européenne (BCE) n'est toujours pas parvenue à gagner sa bataille contre la déflation. En février, le taux annuel d'inflation dans la zone euro (19 pays) était de -0,2%.

Face à ce fléau, la BCE a choisi jeudi de répondre en jouant son va-tout.

Son principal taux directeur, le taux de refinancement, est ramené de 0,05 % (en place depuis septembre 2014) à zéro.

Le taux d'intérêt versé aux institutions financières qui lui confient des dépôts passe de - 0,3 % à - 0,4 %. Autrement dit, l'argent confié à la BCE n'est pas rémunéré, mais taxé.

En contrepartie de ce taux négatif, la BCE lancera en juin une nouvelle opération de refinancement à long terme. Elle accordera des prêts d'une durée de quatre ans aux institutions financières de la zone euro pour qu'elles prêtent cet argent à leur tour aux ménages et aux entreprises. Le taux d'intérêt exigé pourra être d'à peine - 0,4 %. Vous avez bien lu: la BCE va payer ceux qui lui empruntent de l'argent.

Enfin, la BCE porte de 60 à 80 milliards € par mois l'enveloppe de ses achats d'obligations gouvernementales sur le marché secondaire. Cette extension de la DQ n'est pas la seule. La BCE élargit aussi la gamme de titres admissibles à ses achats aux obligations corporatives non bancaires dont la note de crédit est de catégorie Investissement (BBB - et plus pour Standard & Poor's et Fitch, Baa3 et plus pour Moody's).

Ce paquet de nouveautés a étonné les marchés financiers par son ampleur. Sur la nouvelle des baisses de taux, les cambistes ont largué l'euro, spéculant sur le fait que d'autres allaient suivre. Il a piqué du nez et perdu plus d'un cent d'équivalence face au billet vert.

Deux heures après, en conférence de presse, le président de la BCE Mario Draghi, a rajusté le tir: «Ces taux bas, très bas, devraient rester en place très longtemps, au-delà de la fin du programme de rachats d'actifs (prévue en mars 2017, mais susceptible d'être prolongé). A priori, ils ne devraient pas baisser davantage.»

Les cambistes ont changé alors leur fusil d'épaule et l'euro est remonté en chandelle.

La BCE veut vaincre la déflation, coûte que coûte. Quand les prix baissent, alors les profits, les salaires diminuent, les emplois se raréfient. S'installe le réflexe de reporter ses achats dans l'espoir que les prix tombent encore. C'est un cercle vicieux. Seules les dettes ne bougent pas, tandis que le remboursement des intérêts et du capital devient plus lourd à supporter.

La BCE vise donc à stimuler le crédit pour relancer la croissance et raffermir les prix. C'est ce que les économistes appellent la reflation dans leur jargon.

Il y a toutefois des limites à l'efficacité de la politique monétaire en la matière. Beaucoup jugent qu'une politique monétaire a plus de chances de porter ses fruits si elle est jumelée à une politique fiscale expansionniste. C'est ce que préconise le Fonds monétaire international après avoir longtemps été partisan de l'austérité.

D'autres pensent que l'accumulation de déficits ne peut être au mieux qu'un feu de paille dont le prix est exorbitant. C'est notamment le point de vue de l'Allemagne, du Royaume-Uni et, de plus en plus, celui de la France.

Il n'est pas acquis non plus que les nouvelles initiatives de la BCE porteront leurs fruits.

La Réserve fédérale américaine a eu recours à trois rondes de DQ pour enfin parvenir à remettre l'économie sur des bases solides. En plus, sa loi lui permet de monétiser le déficit de Washington, ce qu'elle a fait en achetant des blocs d'obligations fraîchement émises.

La BCE ne peut faire de même avec celle des gouvernements de la zone euro. La DQ de la BCE crée de l'argent indirectement : en échange de titres obligataires que lui confient les institutions détentrices, elle les crédite dans leurs lignes de dépôts. Ces dépôts doivent servir à prêter de l'argent, faute de quoi ils sont taxés au taux de-0,04 %.

Cette forme de DQ permet aux États de se financer à moindres coûts auprès des institutions financières qui, à leur tour, récupèrent leurs liquidités, si elles en ont besoin, en confiant leurs prêts à la BCE.

Reste à voir si elles vont trouver de bons emprunteurs...

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REPÈRES

Taux de financement

C'est le principal taux directeur de la BCE. Il sert à prêter à très court terme des liquidités aux institutions financières. Le taux comparable au Canada est le taux cible du financement à un jour. Mercredi, il a été reconduit à 0,5 %.

Taux de rémunération des dépôts

C'est le taux accordé par la banque centrale aux excédents de liquidités qu'on lui confie. Celui de notre banque centrale est de 0,25 %.

Détente quantitative

Initiative d'une banque centrale qui consiste à assouplir le crédit quand le taux directeur principal est à zéro ou presque. Elle consiste généralement en l'achat d'obligations gouvernementales ou de sociétés d'État de manière à infléchir les taux d'intérêt de tous les emprunteurs. Au bout du compte, la DQ augmente la quantité d'argent en circulation.

Déflation

Baisse généralisée des prix. À ne pas confondre avec la désinflation qui est plutôt un ralentissement de l'inflation. Si cette dernière est trop prononcée, il y a alors risque de déflation.

Photo Michael Probst, Associated Press

Hier, la Banque centrale européenne (BCE) a ramené son taux directeur de 0,05 % à zéro. Rapidement, l’euro s’est mis à piquer du nez avant de reprendre du tonus à la suite d’une conférence de presse du président de la BCE, Mario Draghi. 

PHOTO DANIEL ROLAND, AGENCE FRANCE-PRESSE

Hier, la Banque centrale européenne a ramené son taux directeur de 0,5 % à 0 %.