Pour beaucoup, l'annonce mercredi du taux directeur par la Banque du Canada et le communiqué l'accompagnant ne seront que la répétition des faits saillants de la décision rendue le 20 janvier : statu quo à hauteur de 0,5 %, dans l'attente de connaître le stimulus fiscal du budget du ministre Bill Morneau, le 22 mars.

Pourtant, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis que le huard ne valait que quelque 68 cents américains et paraissait en chute libre, depuis que le baril d'or noir s'échangeait contre 26 $US et pour lequel maints spéculateurs gageaient sur un prix de 20 $US.

Depuis, notre monnaie vaut plus de 75 cents US. Elle est parmi celles qui se sont le plus appréciées par rapport au billet vert cette année.

Le baril de pétrole vaut plus de 37 $US. Sans parler de poussée, il est raisonnable de penser qu'il a touché le fond puisque les forages de sols schisteux sont en forte diminution aux États-Unis.

Et, ô surprise ! l'économie canadienne semble avoir retrouvé un peu de tonus en fin d'année. Le produit intérieur brut (PIB) réel mesuré par industrie a augmenté de 0,248 % en décembre, a indiqué Statistique Canada la semaine dernière. Cela a donné un bel élan pour relancer la production en 2016.

En fait, même la variation trimestrielle de fin d'année a surpris. À hauteur de 0,8 %, elle a éclipsé celle des États-Unis (0,7 %).

Cette performance, en apparence encourageante, est toutefois trompeuse et n'aura sûrement pas berné les cinq membres en poste du Conseil de direction de la Banque. (Le sixième, Sylvain Leduc, entre en fonction en mai seulement.)

Le gros de la croissance a été assuré par les exportations nettes à cause d'une forte baisse des importations.

La demande intérieure finale (DIF), qui inclut la consommation des ménages, les investissements des entreprises, la construction et la contribution des gouvernements, a reculé pour la première fois depuis 2009.

La faiblesse de la consommation, qui représente la part du lion de la DIF, reflète le niveau extrêmement élevé de l'endettement des ménages. Il s'élevait à 1912 milliards en janvier, soit presque autant que la taille de l'économie (1996 milliards, au quatrième trimestre de 2015).

La Banque estime d'ailleurs qu'il s'agit là de la plus grande vulnérabilité de l'économie canadienne. Dans l'éventualité d'une hausse du loyer de l'argent, les ménages les plus endettés seraient à haut risque d'insolvabilité.

Certes, personne ne s'attend à une flambée des taux d'intérêt. La perspective de déficits budgétaires substantiels tant par Ottawa que par plusieurs provinces, jumelée à celle d'augmentations modérées du taux directeur de la Réserve fédérale américaine, devrait toutefois gonfler les coûts d'emprunt des institutions financières, elles-mêmes créancières des ménages.

Si les ménages sont à bout de souffle, on peut s'étonner du peu d'enthousiasme de la part des entreprises hors énergie à investir pour moderniser ou augmenter leurs capacités afin de profiter de l'avantage compétitif d'une monnaie encore faible par rapport au billet vert.

Au quatrième trimestre, les investissements en achats de machines et d'équipement ont de nouveau reculé.

Pourtant, les bénéfices des manufacturiers hors énergie ont été les plus élevés depuis 2000, l'an dernier.

Si le stimulus budgétaire du ministre Morneau ne convainc pas la Banque, la tentation de baisser le taux directeur une nouvelle fois pourrait à nouveau la titiller, à compter d'avril. Le dollar est revenu à un niveau qui rend moins concurrentiels les exportateurs canadiens et l'économie n'est pas aussi remise d'aplomb que les chiffres du PIB le laissent croire.

C'est un atout qu'hésiteront à jouer les autorités monétaires. Les taux d'inflation totale et de base étaient tous les deux en plein sur la cible de 2 %, en janvier, ce qui prêche pour le statu quo monétaire prolongé.

Cela dit, le gouverneur Stephen Poloz et son équipe ont surpris à plus d'une reprise par leur volonté de recourir à l'outil monétaire pour stimuler une économie qui a bel et bien perdu sa fière allure du début de la décennie.

Si tel est le cas à nouveau, ce ne sera toutefois pas cette fois-ci.

Infographie La Presse