C'est un mot tellement détestable, une réalité tellement crainte que la rectitude politique anglophone préfère parler du mot qui commence par R plutôt que d'appeler un chat un chat, ou une récession une récession.

On fait allusion de plus en plus au mot qui commence par R par les temps qui courent, tellement la morosité économique devient palpable.

La définition la plus répandue veut qu'il y ait récession quand l'activité économique réelle recule durant deux trimestres d'affilée.

Ainsi, le Canada aurait été en récession au premier semestre de 2015 marqué par deux légers reculs du produit intérieur brut (PIB).

La plupart des économistes jugent cette définition à la fois trop technique et trop restrictive. Ainsi, même si le PIB a bel et bien reculé, le nombre d'emplois a augmenté de 95 600 durant le premier semestre, selon les données de l'Enquête sur la population active de Statistique Canada. Difficile dans ce cas de conclure à une diminution de l'activité économique.

Voilà pourquoi il faut élargir la définition de récession pour y inclure des critères qualitatifs.

Aux États-Unis, le National Bureau of Economic Research (NBER) a la responsabilité de décréter quand commencent et se terminent les récessions. Il se fonde sur plusieurs critères qui font tous appel à du jugement : variations du PIB mesurées à la fois par industrie et par catégories de revenus (salaires, profits, impôts...), de l'emploi, de la production industrielle et chiffre d'affaires des entreprises.

Dès lors, il est facile d'affirmer que les États-Unis connaissent peut-être un ralentissement, mais sont encore loin d'être même à l'orée d'une récession, comme le laisse croire le pessimisme des marchés boursiers.

Qu'en est-il du Canada dont l'activité économique a au mieux stagné durant l'automne, ce qui signifie qu'on a observé de la croissance seulement durant l'été, l'an dernier ?

Jusqu'à récemment, la tâche qui incombe au NBER aux États-Unis était assumée par Statistique Canada. Compressions budgétaires obligent, l'agence fédérale a mis fin à son service d'analyses économiques de la conjoncture qui était présidé par Philip Cross.

L'Institut C.D. Howe a formé en 2012 son Conseil des cycles économiques formé d'une douzaine d'économistes dont M. Cross, Stéfane Marion de la Banque Nationale, Steve Ambler de l'UQAM et Stephen Gordon de l'Université Laval pour assurer la relève.

Selon le Conseil, le Canada tombe en récession « lorsque survient un déclin prononcé, persistant et diffus de l'ensemble de l'activité économique ».

Le Conseil raffine l'analyse en incluant une échelle de un à cinq pour mesurer la gravité de la contraction économique, un peu comme on le fait pour quantifier l'intensité d'un ouragan.

Ainsi les récessions de 1981-1982, de 1990-1991 et de 2008-2009 sont-elles jugées d'intensité 4, alors que celles de 1929-1933 et de 1937-1938 sont de catégorie 5.

M. Cross a produit une analyse détaillée de tous les cycles économiques canadiens depuis 1926.

Les données statistiques sont insuffisantes pour déterminer avec précision le début et la fin des récessions précédentes.

En conclusion de son analyse, le chercheur fait ressortir que le cycle en cours et les prochains devront aussi juger des effets du vieillissement de la population dans l'appréciation de la variation de l'emploi.

Le Canada est sorti à l'été 2009 de la récession commencée à l'automne 2008. Il est entré en expansion un an plus tard, soit il y a cinq ans et demi.

Aux États-Unis, la récession a commencé en décembre 2007 et s'est terminée en juin 2009, selon le NBER. L'économie a repris son expansion deux ans après. La phase d'expansion a seulement quatre ans et demi, ce qui est plutôt court, selon la moyenne historique. Il s'agit toutefois d'une moyenne statistique, pas d'une règle fixe.

On sera plus rassuré en notant que le nombre de salariés a augmenté de 151 000 en janvier, alors que les ventes des détaillants ont grimpé de 0,2 %. Difficile de conclure à un recul généralisé de l'activité économique chez nos voisins avec de tels indicateurs. Il est vrai toutefois que le secteur manufacturier est en récession et que les profits ont diminué pendant trois trimestres d'affilée.

Quant au Canada, il traverse une transformation structurelle dictée par la chute des prix des ressources.

La croissance de l'activité économique a été modeste l'an dernier (tout juste au-dessus de 1 %). Elle pourrait bien être plus faible encore cette année, compte tenu de gains de productivité et d'investissements hors ressources trop faibles au cours des années de boom des ressources.

Même prolongée, la quasi-stagnation n'est toutefois pas synonyme de récession.