Après des mois à répéter aux Québécois qu'ils doivent s'astreindre à un exercice de rigueur pour leur mieux-être, le premier ministre Philippe Couillard n'a pas su, lui, résister à la tentation classique de tout gouvernement à mi-mandat : hausser le nombre de limousines et nommer tous azimuts des ministres bien plus pour faire plaisir à tout le monde que pour pourvoir des postes névralgiques indispensables au bon fonctionnement de l'État.

On est bien loin, il est vrai, des 38 ministres du gouvernement de Bernard Landry, en 2003, mais 28 ministres, c'est au moins quatre de trop. Sachez, par exemple, que nous avons maintenant une ministre responsable des Saines Habitudes de vie et une ministre responsable des Aînés et de la Lutte contre l'intimidation.

Paradoxalement, Philippe Couillard a fait preuve d'audace en fusionnant Affaires municipales et Sécurité publique, pour former un nouveau super-ministère de l'Intérieur qu'il a confié à Martin Coiteux.

Mais pour le reste, c'est le saupoudrage habituel de mi-mandat, qui consiste à nommer un grand nombre de ministres dans le plus de régions possible, question de ne frustrer personne en vue des prochaines élections.

Une ministre responsable des Saines Habitudes de vie ? Vraiment ? N'eût été l'objectif de nommer plus de femmes (objectif louable, certes), ce sont normalement les titulaires de la Santé et de l'Éducation qui s'occupent de la promotion des saines habitudes de vie. Ou celui des Loisirs et des Sports, s'il faut absolument en nommer un, bien sûr.

Idem pour l'intimidation. Cela relève de la Justice et de l'Éducation.

Mais bon, visiblement, l'exercice ne visait pas à faire des économies ni à maximiser l'efficacité de l'État, ce qui est pourtant le credo de ce gouvernement depuis près de deux ans. M. Couillard nous l'a dit d'ailleurs : le Québec va mieux et nous entrons maintenant dans des eaux plus tranquilles.

Un remaniement de mi-mandat sert le plus souvent à ça : relancer le gouvernement, corriger les lacunes, déplacer des problèmes et donner une nouvelle couleur au message. Celui de M. Couillard, hier, était résolument plus optimiste, moins austère, plus porteur d'espoir. D'où l'arrivée de Dominique Anglade, qui hérite de l'Économie, de bien grands souliers pour une députée qui n'a même pas trois mois d'expérience à l'Assemblée nationale. Mais elle est jeune, dynamique, fonceuse, des qualités qui manquaient à celui qu'elle remplace, Jacques Daoust.

Ancienne candidate vedette de la CAQ en 2012, Mme Anglade figurait dans les plans économiques de François Legault. Elle suggérait notamment de consacrer deux milliards pour créer un guichet unique pour les entrepreneurs et de « renforcer l'expertise dans les CLD de toutes les régions du Québec ». Il lui faudra trouver une autre voie, puisque son nouveau parti a décidé d'abolir les CLD, au grand mécontentement des régions et même des militants libéraux.

Jacques Daoust s'en va donc aux Transports, qui, à tort, servent souvent de voie de garage lors de remaniements. Si M. Daoust manquait de dynamisme à l'Économie, qu'est-ce qui fait croire à Philippe Couillard qu'il sera soudainement énergisé aux Transports ? Il devra cependant s'y mettre puisqu'on ajoute « Mobilité durable et Électrification des transports » à son titre de ministre des Transports. Un signe clair pour la suite souhaitée par M. Couillard.

La rétrogradation de Robert Poëti, qui l'a évidemment très mal pris, a jeté toutefois un froid sur cette journée de remaniement. On pourra comprendre M. Poëti d'être frustré de se voir montrer la porte alors que des maillons encore plus faibles de la chaîne gardent leur place ou en occupent une autre, notamment David Heurtel à l'Environnement, François Blais qui retourne à l'Emploi ou Francine Charbonneau, aux Aînés.

Autre signal, Mme Anglade devient aussi ministre de la Stratégie numérique. Un beau défi quand on sait à quel point le gouvernement du Québec cultive sa manie de se planter chaque fois qu'il touche aux nouvelles technologies informatiques.

La création, par ailleurs, du super-ministère des Affaires municipales et de la Sécurité publique confié à Martin Coiteux et l'arrivée en renfort de Pierre Moreau à l'Éducation constituent les deux plus gros morceaux du nouveau puzzle gouvernemental.

Il s'agit ici de deux nominations techniques. M. Couillard sait que des réformes importantes doivent être mises en place dans le monde municipal et dans le réseau de l'éducation et il confie cette tâche à deux opérateurs qui ont tous deux la réputation de « livrer la marchandise ».

En moins de deux ans, et sans faire trop de bruit, le néophyte Martin Coiteux aura réussi à devenir le ministre le plus puissant à Québec.

Quant à Pierre Moreau, il est devenu le réparateur en chef de ce gouvernement. On ne lui connaissait pas, cela dit, de grande passion pour l'Éducation. La seule fois où il s'est prononcé publiquement sur ce sujet, c'était lors de la course à la direction du PLQ, en 2013. Il avait alors suggéré d'abolir les cégeps, ce qui lui avait valu une rebuffade en règle du futur chef, Philippe Couillard.

Un mot en terminant sur le retour de Lise Thériault, dans un rôle allégé, aux Petites Entreprises. L'ovation qu'elle a reçue au Salon rouge aura sans doute été un baume après des mois très difficiles. C'est ironique de la voir hériter aussi de la Condition féminine, elle qui a goûté au machisme encore trop bien implanté dans les milieux policier et politique, l'automne dernier.

Chose certaine, il n'y a pas grand monde de mieux placé qu'elle dans ce gouvernement pour savoir qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir sur le chemin de l'égalité.