Quand elle explique la nature de son travail aux chauffeurs de taxi des pays arabes où elle étudie la condition masculine, Shereen El Feki finit souvent par se faire poser la même question. «Est-ce vrai que les femmes occidentales aiment faire l'amour avec plus d'un homme à la fois ?», lui demandent avec optimisme de nombreux conducteurs.

La chercheuse leur explique que non, ce n'est pas vrai pour la majorité des femmes en Occident. Et quand elle leur demande où ils ont puisé cette idée sur les préférences sexuelles des Occidentales, leur réponse pointe le plus souvent vers des films pornos, produits généralement en Occident...

Cette image faussée de la vie sexuelle prétendument débridée des femmes occidentales a-t-elle pu contribuer, indirectement, à la vague de violence qui a déferlé sur Cologne dans la nuit du 1er janvier ?

Le nombre élevé de migrants arabes parmi les agresseurs qui ont collectivement harcelé et agressé des femmes venues célébrer le Nouvel An s'explique-t-il par leur vision irréaliste des moeurs sexuelles de leur pays d'accueil ? Et leur impression qu'ils se trouvaient, en quelque sorte, dans un bar ouvert à toutes les pulsions ?

Ce malentendu a pu jouer un rôle dans cette nuit de chaos, estime Shereen El Feki, auteure de Sex and the Citadel, un essai fascinant sur la misère sexuelle des Égyptiens et des Égyptiennes.

Mais ce n'était, selon elle, qu'un facteur parmi d'autres.

«Toutes les études scientifiques démontrent que peu importe leur origine ethnique, les hommes qui agressent les femmes ont été témoins de cette violence dans leur enfance, ou qu'ils ont été eux-mêmes victimes de violence», dit la chercheuse qui dirige maintenant une étude sur la condition des hommes arabes - un domaine de recherche quasi vierge, selon elle.

Ces deux facteurs font partie du «cocktail toxique» qui pousse les hommes à s'en prendre aux femmes. Mais il y en a d'autres.

«Les hommes qui n'ont pas de travail, qui n'ont pas d'argent, qui sont incapables de se marier» peuvent tourner leurs frustrations et leur colère contre les femmes. Autres ingrédients : le sentiment que l'agression contre les femmes est socialement acceptable et qu'elle n'aura pas de conséquences. Ces ingrédients sont présents à divers degrés dans bien des sociétés, y compris en Occident.

Née de père égyptien et de mère britannique, Shereen El Feki reconnaît que les femmes arabes n'ont pas la vie facile, mais souligne que les hommes souffrent également, mais que leurs difficultés sont ignorées.

Pour elle, les tragiques événements de Cologne, tout comme les flambées de violence sexuelle qui ont déferlé à répétition sur la place Tahrir, sont assimilables à un cancer. Dans les deux cas, il s'agit du résultat convergent de dérèglements divers. À la gare de Cologne, tout comme sur la célèbre place du Caire, se sont croisés des hommes en colère, submergés par leurs échecs, d'autres qui avaient trop bu, des éléments criminels et aussi, parfois, des gens qui utilisaient la violence à des fins politiques.

Ce qui est arrivé à Cologne est terrible, abject, traumatisant. «Mais ce n'est pas une raison pour expulser ces hommes avant de se poser la moindre question», tranche Shereen El Feki.

Penchons-nous sur tous ces facteurs qui ont conduit à l'horreur de ce jour de l'An. Et sur la situation des hommes dans le monde arabo-musulman, y compris ceux qui ont pris la route de l'exil. Au lieu d'en profiter pour ostraciser davantage les musulmans - et ajouter ainsi à leur marginalisation.

Essayer de comprendre, expliquer, ce n'est pas excuser, bien sûr. Mais c'est encore le meilleur moyen pour prévenir d'autres Cologne.

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«Les événements de Cologne se situent à la croisée de deux peurs. La crainte d'un afflux massif de réfugiés et des problèmes qui en découlent. Et la peur que les images désolantes de ces comportements désolants ne finissent par ébranler l'attitude généralement positive des Allemands face aux réfugiés.»

Ce paragraphe, tiré d'un long article de l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, résume bien la difficulté de parler de ces événements qui ont ébranlé l'Allemagne, après l'arrivée de plus d'un million de réfugiés en quelques mois.

Car la ligne est mince entre la tentation d'occulter l'origine ethnique d'une grande partie des agresseurs, et celle de mettre dorénavant tous les réfugiés dans un même sac : celui d'une bande de sauvages qui agressent les femmes.

IMAGE TIRÉE DE TWITTER

Caricature de Riss dans Charlie Hebdo

Est-ce bien cela que clame la dernière caricature controversée de Charlie Hebdo, un dessin représentant des types pervers essayant d'attraper une femme, les mains tendues vers son derrière ?

Que serait devenu le petit Aylan s'il avait grandi ? demande la légende au-dessus du dessin. Réponse : tripoteur de fesses en Allemagne...

Cette caricature du dessinateur Riss fait allusion à Aylan Kurdi, le gamin syrien échoué sur une plage turque, au début de septembre. Elle a soulevé une vague d'indignation sur les réseaux sociaux. Internautes et commentateurs ont crié au scandale, dénonçant entre autres l'aspect simiesque des visages des hommes lancés à la poursuite de leur proie.

Je comprends cette indignation. Au premier degré, ce dessin est odieux. Mais depuis quand les caricatures doivent-elles être lues littéralement ?

Personnellement, je l'ai plutôt décodé au deuxième degré. Depuis Cologne, il y a des gens qui pensent que tous les petits Aylan sont des violeurs en puissance. Et le dessin dénonce précisément ce raccourci raciste.