Peut-on encore comprimer les dépenses des CPE, à raison de 120 millions, cette fois, comme l'exige le gouvernement Couillard ?

La réponse comptable est oui. Techniquement, on pourrait probablement supprimer 200, voire 300 millions, sinon plus, dans les CPE, mais il ne faudrait plus alors parler de centres de la petite enfance, mais bien de garderies. La différence est majeure.

Une garderie, sans rien vouloir enlever aux gens qui les gèrent et aux parents qui y envoient leurs enfants, c'est un endroit où on fait garder les petits d'âge préscolaire, sans programme éducatif particulier, sans sorties culturelles ou sportives fréquentes, sans services spécialisés, pour les repas ou les besoins spéciaux des bambins, par exemple, sans limite stricte du ratio enfants-éducatrices.

Certains parlent même crûment de « parkings à enfants », ce qui ne rend pas justice à la majorité des propriétaires de garderies privées (subventionnées ou pas), qui se soucient à n'en pas douter de la qualité de vie de leurs petits clients. Avec des moyens limités, dans des installations parfois minimalistes et sans formation particulière, ces garderies font toutefois ce qu'elles peuvent.

Il y a 20 ans, le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard a décidé de doter le Québec d'un réseau de garderies modernes, bien équipées et, surtout, très abordables. Mais depuis leur retour au pouvoir en 2003 (hormis un intermède péquiste de 18 mois de 2012 à 2014), les libéraux ont tourné le dos aux CPE, qu'ils jugent trop coûteux, au profit des garderies privées.

Depuis 2006, Québec a enlevé 400 millions au réseau des CPE, soit près de 20 % du budget total de 2,2 milliards. Pour cette année, la commande est de 120 millions, ce qui se traduira, selon l'Association québécoise des CPE, par la suppression d'un poste d'éducatrice dans chaque endroit.

Les libéraux n'ont jamais aimé les CPE, trop associés au Parti québécois et certainement trop emblématiques du modèle québécois au goût des Philippe Couillard, Martin Coiteux et compagnie. Pourtant, les effets positifs d'un bon réseau de garde d'enfants abordable sur la conciliation travail-famille, et donc sur l'économie, sont indéniables. Idem pour la préparation des enfants au passage à l'école, pour la socialisation des petits et pour l'intégration, surtout dans les quartiers les plus multiethniques de Montréal. L'apprentissage de saines habitudes de vie fait aussi partie des avantages des CPE.

On sait même que l'instauration de ce réseau a provoqué un mini baby-boom au Québec au début des années 2000. L'ancien premier ministre libéral, Jean Charest, faisait d'ailleurs campagne en 2007 en vantant le Québec comme « le paradis des familles ». 

Tout cela coûte trop cher aux yeux des libéraux. Les coupes ne sont pas que comptables, elles sont aussi idéologiques.

Les effets, eux, sont bien réels. Des CPE ont dû supprimer le poste de cuisinier pour se rabattre sur des plats surgelés, diminuer les collations et les sorties, réduire les heures consacrées à l'entretien ménager (bonjour, les microbes et la gastro !), licencier des éducatrices, laisser tomber le service d'accueil le matin, etc.

Lors d'une rencontre récente, le sous-ministre à la Famille a dit carrément aux représentants des CPE qu'ils n'y arriveraient pas sans réduire les services aux enfants, contredisant du coup le discours officiel du gouvernement. Au passage, les gestionnaires de CPE ont appris qu'ils devront trouver 25 millions de plus que la demande initiale de 120 millions, ce qui a créé commotion et confusion dans le réseau.

Le Ministère fait d'ailleurs dans la microgestion. Ainsi, il a calculé qu'une cuisinière n'a besoin que de 21 heures par semaine pour préparer repas et collations pour une soixantaine d'enfants. Au-delà de ces 21 heures, le Ministère ne paie plus, point. Même chose pour l'entretien ménager : c'est moins 20 %, a décidé Québec. La directive ne dit toutefois pas comment forcer les enfants à salir 20 % moins les installations...

Il faudra faire plus vite, avec moins de personnel, abandonner les collations de fruits frais coupés et servir des biscuits industriels, sauter quelques sorties et activités, laisser tomber l'accueil des parents le matin et le soir, de bons moments pour faire le point et pour passer des messages.

Y a pas un enfant qui va mourir de ça, comme disait l'autre, mais tranquillement, on délaisse les CPE pour revenir à des garderies de base.

Oui, mais certaines garderies ont accumulé de beaux surplus budgétaires, preuve qu'elles ont trop d'argent, plaide le gouvernement. Vrai, certains CPE avaient de l'argent en banque, mais ces surplus ont été accumulés grâce à une gestion prudente, pas en détournant des fonds. Ils servaient de réserve d'urgence ou de cagnotte pour de futures rénovations. Le gouvernement est venu les récupérer en reprochant aux CPE « coupables » d'avoir si bien géré.

Sans surprise, comme ç'a été le cas l'automne dernier dans les écoles primaires publiques, la résistance s'organise : manifestations, chaînes humaines et possibles journées de fermeture.

Les CPE ne sont pas les seuls à passer au cash. Les services de garde en milieu scolaire aussi y goûtent. À cause de l'augmentation importante des tarifs des activités, on note une diminution marquée des inscriptions aux journées pédagogiques. Faites le calcul : il y a 20 journées pédagogiques par année et certaines activités coûtent jusqu'à 38 $ par enfant (le tarif minimal est de 16 $ si l'enfant reste à l'école les jours de pédago).

Par ailleurs, de plus en plus de parents d'enfants de 9 à 12 ans ne les inscrivent carrément plus au service de garde, préférant qu'ils rentrent seuls à la maison après l'école.

L'auteure Aurélie Lanctôt a publié récemment un livre intitulé Les libéraux n'aiment pas les femmes. On peut aussi se demander s'ils aiment vraiment les familles qu'ils courtisent pourtant, comme tous les partis politiques, à chaque campagne électorale.