Après six mois de siège, dont trois sans la moindre aide humanitaire, les 42 000 habitants de la ville syrienne de Madaya, encerclée par les forces gouvernementales, ont enfin vu arriver les camions de la Croix-Rouge, lundi.

Pour eux, il était minuit moins une. Ces dernières semaines, des informations terrifiantes filtraient de cette ville toute proche de la frontière du Liban.

Des histoires de gens réduits à manger des chiens et des chats, d'enfants nourris au sirop, seul moyen de leur fournir une dose minimale de sucre.

Des histoires de personnes affamées essayant de tromper leur estomac avec de la terre ou des herbes sauvages. De gens qui mouraient en essayant de fuir cette bourgade encerclée de mines.

Il y avait des photos, aussi. Des images de corps rachitiques, de visages émaciés, de poitrines décharnées. Oui, certaines photos qui ont circulé dataient en fait d'il y a deux ans et ont été captées ailleurs en Syrie. Mais d'autres ont été authentifiées et montrent les souffrances qu'endure la population de cette ville, assiégée depuis juillet.

Plusieurs de ces photos, qui rappellent les images de camps de concentration nazis, documentent effectivement la tragédie très réelle de Madaya.

Un infirmier travaillant dans une clinique soutenue par Médecins sans frontières, Khaled Mohammad, a partagé l'image du corps squelettique d'un homme d'une soixantaine d'années avec des journalistes du New York Times. L'homme était mort de faim chez lui, en attendant des secours qui sont arrivés trop tard.

La rare nourriture présente à Madaya se détaille à prix d'or. Le journal new-yorkais cite une femme qui raconte avoir dépensé 40 $ pour acheter quelques cuillerées de sucre, pour sa fille qui essayait en vain d'allaiter son nouveau-né.

Depuis le 1er décembre 2015, 23 habitants de Madaya sont morts de faim, rapporte Médecins sans frontières. Des enfants, des adultes, des vieux. Personne n'est épargné.

« La situation à Madaya est dramatique, il fait très froid, il n'y a pas d'électricité, et 400 habitants ont besoin d'être évacués d'urgence », dit Nadim Houry, du bureau de Human Rights Watch à Beyrouth.

Les camions de la Croix-Rouge ont atteint lundi une ville plongée dans l'apathie, état que les organisations humanitaires considèrent comme le stade ultime de la détresse, témoigne Stéphane Michaud, directeur de la réponse aux urgences internationales à la Croix-Rouge canadienne.

Cette semaine, ces 42 000 habitants en détresse auront donc eu droit à un répit. Mais ce n'est que ça : un répit.

Actuellement, selon un recensement de l'ONU, une quinzaine de localités syriennes, qui abritent plus de 400 000 personnes, vivent en état de siège. Environ la moitié d'entre elles seraient assiégées par l'armée de Bachar al-Assad ou par le Hezbollah, qui soutient le dictateur syrien. L'autre moitié serait encerclée par divers groupes de rebelles. Ainsi, on estime que près de 200 000 personnes sont tenues en otage par le groupe État islamique, à Deir al-Zour, dans l'est de la Syrie.

Tous ces chiffres sont évidemment sujets à caution. Selon le site SyriaWatch.org, initiative commune des organisations Pax et Syria Institute, en réalité, le pays compterait 1 million de personnes soumises à divers degrés de siège militaire.

La famine qu'elles subissent n'est pas le fruit du hasard. Le régime syrien l'utilise comme arme de guerre, certains groupes rebelles aussi, souligne Nadim Houry.

Dans une attaque récente contre Moadhamiyeh, en banlieue de Damas, les avions gouvernementaux ont fait pleuvoir des tracts on ne peut plus clairs : « Rendez-vous ou vous serez annihilés. »

« Leur stratégie c'est : "rends-toi ou crève" », dit Nadim Houry. Une pratique qui constitue un crime de guerre, selon le droit humanitaire international.

Pour Nadim Houry, la livraison d'aide humanitaire en cours à Madaya est bien sûr bienvenue. Mais ce n'est qu'une solution temporaire. Qu'arrivera-t-il dans cette ville dans deux, trois ou quatre mois si le siège n'est pas levé ? Et qu'arrivera-t-il dans les autres villes assiégées, si les deux parties à ce conflit épouvantable continuent à affamer les civils pour forcer leurs adversaires à ranger les armes ?

Le Conseil de sécurité de l'ONU a voté plusieurs résolutions demandant au régime de Damas d'ouvrir des couloirs d'aide humanitaire. À quelques exceptions près, âprement négociées par les organisations humanitaires internationales, ces résolutions restent lettre morte.

Une fois que les camions de la Croix-Rouge quitteront Madaya, cet étranglement délibéré et meurtrier de villes entières risque donc de se poursuivre hors de l'attention internationale. Jusqu'au prochain Madaya.