C'est arrivé au cours des dernières heures. Mon garçon est devenu ado...

Je le sais, parce que j'ai vu le changement s'opérer. Ça s'est passé au moment où il découvrait le cadeau caché sous l'emballage : un iPod touch.

« J'te dis papa, quand j'ai deviné c'était quoi, mon cerveau s'est mis à faire le rigodon ! J'le voulais depuis full longtemps !!! »

Je savais bien qu'il serait « full » excité. Pas de surprise là. Mais ce dont je ne me doutais pas, c'est à quel point ça allait tout changer. Absolument. Tout.

J'avais un garçon de 12 ans, peut-être pas angélique, mais relativement candide. Il a ouvert la petite boîte blanche. Et là, boum : j'avais un ado de 12 ans, qui me texte « yo le pup c vrm cool », qui donne rendez-vous à ses chums par « convos » et qui publie des jokes douteuses sur les réseaux sociaux.

Ça a pris... 24 heures. Et lui-même a perçu le changement : « on dirait que d'un coup, j'ai grandi d'un mètre ! »

Difficile à croire quand on ne l'a pas vécu. Surtout qu'on ne peut pas se référer à notre propre enfance, puisqu'il n'y avait absolument rien d'équivalent.

Oui, je me souviens d'avoir été (presque) aussi excité en recevant mon jeu Donkey Kong sur une console portable verte qui, une fois pliée, était de la grosseur d'un iPod, justement. Mais à part la taille, rien à voir : on battait son record quelques fois, puis on passait vite à autre chose.

Là, on est dans un autre univers. On est dans le cadeau existentiel. On est dans le gadget qui change une vie. On est, en fait, dans le rite de passage. Oui, c'est ça...

Ça doit être l'ancien étudiant en anthropologie qui parle, mais ce à quoi j'ai assisté ces dernières heures, c'est au franchissement d'un seuil symbolique, au passage de la société des enfants à celle des adolescents.

« Ce que j'aime le plus de mon iPod ? L'autonomie que ça me donne. Tu as ton iPad, j'ai plus à te l'emprunter. Moi, j'ai mon iPod à moi. »

OK. Mais tu pouvais déjà jouer à des jeux et regarder « Norman fait des vidéos » sur YouTube, ça change quoi ? « Tu comprends pas, c'est amazing ! Je peux socialiser. Je peux utiliser la calculatrice. Je peux regarder la météo. »

La météo ? « Oui ! Le matin, avant de partir à l'école, je vais savoir si je dois m'habiller chaudement plutôt que d'aller dehors me friser. »

Te friser ? « Non ! Papa... Me freezer ! »

Ah. Et tu avais vraiment besoin de ton propre iPod pour « socialiser » ? Les téléphones à fil, c'est assez révolutionnaire, tu sais, ça transmet même la voix...

« Papa ! C'est bien mieux de texter. Personne n'écoute ses messages de toute façon, sauf ceux qui sont nés avant 2000. Et en plus, au téléphone, tu peux pas ajouter un "emoji" sourire en disant bye... »

Bon. Je dois avouer que le volet social du bidule, il a du bon. Comme si les jeunes revenaient à l'époque où l'on sonnait à la porte des amis pour jouer, spontanément. Là, ils prennent leur iPod, s'échangent quelques iMessages, puis se donnent rendez-vous. J'aime.

Les réseaux sociaux, par contre... Ish. Moins bon, ça. J'attendais d'ailleurs mon fils au détour avec sa demande de compte Facebook. Je comptais bien lui dire qu'il n'en était pas question avant 13 ans.

Mais quelques heures après avoir mis la main sur son gadget, sans qu'il m'en parle, il s'était déjà créé un compte sur... Instagram. Pris au dépourvu, j'ai laissé passer. Puis je me suis abonné à son compte.

OMG !

Les cheveux m'ont dressé sur la tête, presque autant qu'en prenant connaissance des textos douteux qu'il avait échangés avec ses amis. Sur sa « page », il avait déjà publié une bonne dizaine de ces photos accompagnées de textes niaiseux, glanées sur le web... dont au moins trois étaient limites, pour ne pas dire carrément déplacées.

Pas le choix : fiston venait de recevoir son iPod que déjà, il avait droit à LA discussion sur les réseaux sociaux, les statuts à ne pas publier, les risques de dérapages, le langage vulgaire et même, eh oui, sur les messages à connotation sexiste.

Oh, qu'elle était loin l'époque où l'on parlait des fleurs et des abeilles au moment où je lui ai tendu une belle lettre à signer, avec contraintes explicites à respecter. Le partage des mots de passe. L'obligation d'« ouvrir » son iPod en tout temps. La tolérance zéro sur les grossièretés. Les limites de temps d'utilisation.

Des règles « strictes », ai-je martelé... jusqu'à ce que je ramollisse au fil de ses questions. Dis, papa, l'appareil photo, il entre dans le temps d'utilisation ? Et la musique ? L'émoticône en forme de doigt d'honneur, il est banni ? Et celui en forme d'étron ? Vine, je peux m'abonner ? Et Snapchat ?

C'est là que j'ai réalisé que j'avais perdu le contrôle. Là que j'ai vu qu'on avait basculé dans un autre monde. Que j'ai compris que fiston n'était pas seul, finalement, à vivre son rite de passage...

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