Il n'y a pas grand-chose qui irrite autant les consommateurs que l'impression de se faire avoir à la station-service et de payer trop cher pour faire le plein. Les gens sont extrêmement sensibles aux prix de l'essence, assez pour faire de longs détours pour économiser quelques cents.

Depuis un an, bien des consommateurs avaient l'impression que les prix à la pompe ne reflétaient vraiment pas la chute très importante des prix du brut qui s'est amorcée en 2014. Les prix ont bien sûr baissé, l'essence se vendait cette semaine autour de 1,10 $ à Montréal, soit bien moins que les 1,37 $ d'il y a deux ans. Mais le prix du brut a vraiment baissé beaucoup plus, de 140 $CAN à moins de 80 $.

Les analystes et les porte-parole de l'industrie ont toujours en réserve une foule d'explications. Le prix du brut n'est qu'une des composantes du prix à la pompe, rappelle-t-on, et celui-ci dépend bien plus des frais de raffinage et de distribution ainsi que des taxes. La chute du dollar canadien a aussi augmenté le coût d'acquisition. Les jeux de l'offre et de la demande et les capacités de raffinage ont aussi leur influence. Tout cela est vrai. Mais est-ce que ça suffit à tout expliquer ?

La réponse est non. C'est un économiste sénior de la Banque de Montréal, Benjamin Reitzes, qui en fait la démonstration dans une note économique avec un graphique très révélateur, où il juxtapose deux courbes : la première pour les fluctuations du prix du Brent, le prix du pétrole en Europe, celui que l'on consomme dans l'est du Canada, exprimé en dollars canadiens pour tenir compte de l'effet du taux de change, et la seconde pour le prix moyen à la pompe.

Le graphique montre que depuis 2008, les mouvements du prix à la pompe ont suivi très fidèlement ceux du prix du brut, mais qu'il y a eu une cassure à la fin de 2014 : la chute du prix du brut est devenue beaucoup plus prononcée que celle de l'essence. En 2008, avec des prix du brut semblables à ceux d'aujourd'hui, le litre d'essence était autour de 70 cents en moyenne au Canada. Il est actuellement autour d'un dollar. Au Québec, il faut ajouter environ 10 cents. Cela fait dire à l'économiste que « les consommateurs ne semblent pas récolter tous les bénéfices des prix plus bas du pétrole ».

Bref, on a bien raison d'être mécontents et méfiants. Cela ne doit pas pour autant faire de nous des croisés de l'essence à bas prix.

Parce que le prix à la pompe va grimper et doit grimper. Mais ça doit être de la bonne façon et pour les bonnes raisons.

On sort d'un processus ardu de réflexion et de négociation autour de la COP21 qui a donné l'Accord de Paris. Même s'il reste vague, cet accord, que le Canada a appuyé, devra nous imposer des efforts encore plus grands pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et ainsi ralentir le réchauffement climatique. Et ça ne se fera pas tout seul.

Au Québec, 40 % des émissions de GES proviennent du transport et donc de la consommation d'essence et de diesel. On pourra réduire cette consommation en développant des alternatives, de l'auto électrique aux transports en commun. Mais les changements de comportement nécessaires n'arriveront pas spontanément. Le moyen le plus puissant pour les accélérer, ce sont les signaux de prix. Plus l'essence et le diesel seront chers, plus il y aura de pression pour en réduire l'utilisation.

L'idée de payer pour le carbone que l'on produit ou que l'on consomme est au coeur de toutes les stratégies de réduction des GES. Ce peut être avec un marché du carbone, des taxes spécifiques, comme celle sur l'essence à Montréal pour financer les transports en commun, ou un système plus global de taxation du carbone.

Dans tous les cas, ces outils feront grimper les prix de l'essence. Mais si c'est bien fait, quand on paiera plus à la pompe, on saura pourquoi, on saura où va l'argent. La hausse aura une légitimité. Ce qui n'est pas le cas quand elle sert à remplir les coffres des multinationales du pétrole.