Une fois retombés ballons, confettis et serpentins libérés pour célébrer l'homologation fédérale d'un premier appareil de la C Series de Bombardier, il faudra bien se pencher plus attentivement sur le pari de 1 milliard US pris par le gouvernement de Philippe Couillard au nom des quelque 4 millions de contribuables québécois.

Cette participation à hauteur de 49,5% dans une coentreprise chargée de terminer le développement et la commercialisation de la nouvelle famille d'appareils doit alourdir la dette brute du Québec de quelque 1,3 milliard, selon la Mise à jour budgétaire présentée le mois dernier par le ministre Carlos Leitao.

Cette hypothèse est basée sur le taux de change du 29 octobre. Elle ne tient pas compte de la dépréciation du huard face au billet vert depuis.

Elle n'inclut pas non plus les intérêts que Québec devra payer pendant au moins cinq ans, ni les frais de courtage liés à cet emprunt, ni de ceux des instruments financiers (des swaps de couverture) pour garantir le taux de change au moment de l'emprunt ou de la mise de fonds dans la coentreprise dans laquelle les actionnaires de Bombardier détiendront 50,5% du capital.

À la clôture du 29 octobre, il fallait avancer 1,32$ canadien pour acheter 1$ américain. C'est en arrondissant ce taux à la première décimale que Québec parvient au chiffre de 1,3 milliard.

Hier à la clôture, il fallait plutôt 1,395 huard pour acheter un billet vert. La hauteur de l'emprunt grimpe donc à 1,4 milliard, si on arrondit comme Québec le fait.

Selon l'entente entre les parties, l'investissement se fera en deux tranches de 500 millions, la première le 1er avril et la seconde le 30 juin prochains. La durée de l'engagement est de cinq ans au minimum.

Après quoi, Québec pourra retirer ses billes à certaines conditions, si le succès de la commercialisation lui permet de récupérer sa mise. Or, cette mise lui coûtera beaucoup plus que 1,4 milliard, en présumant que le huard ne poursuit pas sa descente.

Au ministère des Finances, on indique que Québec ne s'est pas encore prémuni contre une dépréciation du huard. La politique monétaire présente de la Banque du Canada, opposée à celle de la Réserve fédérale américaine, milite en faveur de la poursuite de la dépréciation.

Au ministère de l'Économie, on précise qu'«au moment où les placements seront effectués, des instruments financiers (swap) seront mis en place afin de protéger leur valeur contre les fluctuations du taux de change». Cela nous mène donc au printemps.

Ces produits financiers, négociés à la pièce, ne sont évidemment pas donnés. On peut présumer qu'ils sont chers, si on en juge par les profits juteux des institutions qui les structurent.

Leur coût est un secret bien gardé. Quant à la commission versée au syndicat de courtiers chargés de trouver preneur pour l'emprunt, elle s'établit à 0,0045$ par dollar émis. Pour 1,4 milliard, on parle donc de 6,3 millions.

L'emprunt ne sera pas isolé du programme courant de financement de la dette, précise la Mise à jour budgétaire de novembre (page E10). On doit donc estimer son coût à la lumière des autres emprunts que Québec fera l'an prochain.

Fin novembre, Québec a émis une tranche de 500 millions d'obligations, échéance 10 ans. Cette échéance est la plus commune dans son programme d'emprunts. Le rendement consenti aux prêteurs est de 2,63%.

Si les mêmes conditions devaient s'appliquer à l'investissement dans la C Series, on parle donc d'intérêts annuels de 37 millions (2,63% sur 1,4 milliard), pendant au moins cinq ans, soit 185 millions. À cette somme, s'ajoutent les dépenses en commissions et en swaps.

Quand, en 2021, Québec pourra céder sa participation, il faudra donc que l'investissement vaille au moins 1,6 milliard pour que les quelque 4 millions de Québécois qui payent des impôts retrouvent les 400$ de leur mise, avant même de songer au rendement le plus minime.

Voilà pourquoi le programme de la C Series doit décoller pour vrai.