Foi de Thomas Mulcair, si c'était à refaire, sa campagne électorale serait très différente de celle qu'il a menée pendant les 15 longues semaines de l'automne. Sans tenter de se défiler, il avoue, notamment, que son message économique n'était pas clair et qu'il aurait dû trouver une autre formule à propos du niqab.

Je m'attendais à trouver un Thomas Mulcair sombre et amer, jeudi midi pour un lunch postélectoral dans sa circonscription d'Outremont. Le chef du NPD a visiblement besoin de vacances (il l'avoue lui-même volontiers), mais il est souriant, serein et prêt à continuer. « Humble » est le premier qualificatif qui m'est venu à l'esprit en l'écoutant raconter sa campagne. La défaite a fait mal, mais elle a aussi été riche en leçons, m'a confié M. Mulcair.

Après la débâcle du 19 octobre, qui a fait passer le NPD du statut de gouvernement en réserve à celui de troisième parti, Thomas Mulcair a demandé à la présidente du parti, Rebecca Blaikie, de faire le tour des troupes et de rédiger un rapport sur les ratés de la campagne. Ce rapport sera remis au chef au début de 2016, mais il a déjà une très bonne idée de ce qui a cloché.

Premier constat: son message économique visant la classe moyenne manquait de clarté, dit-il. « Nous proposions de hausser les impôts des banques, dont on vient encore une fois de voir les profits, pour baisser les impôts de la classe moyenne et financer des services, mais j'avoue que ce n'était pas clair, dit-il. J'aurais dû frapper plus fort là-dessus plutôt que de seulement insister sur une bonne gestion pour ne pas faire de déficit. »

C'est précisément là que les libéraux ont doublé le NPD sur sa gauche, en annonçant trois années de déficit pour financer les baisses d'impôts et le programme d'infrastructures. M. Mulcair avoue que lui et son équipe n'avaient pas vu venir Justin Trudeau sur ce front.

Le message du NPD, qui s'engageait à « protéger nos bons emplois », était « diffus », ajoute M. Mulcair. « Je parlais de garder nos bons emplois ici, mais pour les électeurs, cela ne leur donnait rien de plus demain matin », explique-t-il.

Beau joueur, Thomas Mulcair reconnaît aussi que le chef libéral a mené une excellente campagne. « On a appris pendant la campagne que les libéraux faisaient des focus groups tous les jours, ce qui leur permettait de récupérer nos idées et d'en mettre toujours un peu plus. C'est ce qu'ils ont fait avec les réfugiés syriens, notamment. Et nous, nous n'avions pas la capacité de répondre. »

La stratégie publicitaire a, elle aussi, connu des ratés, reconnaît le chef néo-démocrate. « Prenez les séries éliminatoires du baseball, avec les Blue Jays: nous n'étions pas là du tout en publicité à la télévision, contrairement à nos adversaires. Ça, notre monde à Toronto nous l'a dit! », souligne M. Mulcair.

Après une bonne demi-heure d'entrevue, j'ai fait remarquer à Thomas Mulcair qu'il n'avait toujours pas prononcé le satané mot qui commence par N: le fameux niqab, la torpille qui a coulé le bateau orange, selon de nombreux analystes et sondeurs.

M. Mulcair ne nie pas son impact: « On a perdu 20 points en trois jours, vers la mi-septembre, et on ne les a jamais repris. Sur le fond, je n'allais certainement pas changer ma position juste pour dire ce que les gens voulaient entendre, ce n'est pas mon genre, mais je trouverais une autre façon de le dire si c'était à refaire. »

L'expression « crise du niqab » fait sursauter Thomas Mulcair deux mois après la fin de la campagne. « On a parlé d'une "crise", mais dans les faits, seules six personnes sur près de 700 000 sont devenues citoyennes canadiennes avec un niqab, précise-t-il. L'affaire du niqab a aussi touché les libéraux, mais personne ne s'attendait à rien du Parti libéral sur cette question. »

Mais alors, pourquoi les électeurs ont-ils tourné le dos au NPD pour adopter le PLC avec autant d'enthousiasme?

« L'idée était de se débarrasser de Stephen Harper, ce à quoi nous sommes fiers d'avoir contribué, mais une fois que les électeurs ont dû choisir entre nous et les libéraux, les vieilles habitudes ont repris le dessus, dit-il. Les libéraux ont ressorti Chrétien et Martin, c'est rassurant pour les électeurs, et puis au Québec, il y a toujours cette tendance à voter du bon bord. »

Il admet toutefois, en précisant que toute la responsabilité « est sur ses épaules », ne pas avoir su « closer le deal avec les électeurs ». « On a fait faire des centaines de milliers d'affiches en forme de panneau qui disaient: "Stop Harper!" Il aurait fallu qu'on ajoute: "Et votez NPD." »

Thomas Mulcair, reconnu comme l'un des meilleurs parlementaires à Ottawa, veut poursuivre le travail d'opposition contre un premier ministre qui, dit-il sourire en coin, maîtrise mieux la forme que le fond.

« On voit déjà que les libéraux ne pourront tenir toutes leurs promesses. Et puis on sait qu'on ne peut compter sur les conservateurs pour talonner le gouvernement sur les pipelines, sur Postes Canada, sur les crédits d'impôt pour fonds de travailleurs, sur l'environnement ou sur le Partenariat transpacifique. »

Pour rester chef du NPD, Thomas Mulcair devra toutefois jouir de la confiance des membres de son parti à leur congrès d'avril, à Edmonton. Au NPD, le vote ne porte pas directement sur la confiance envers le chef, mais sur le désir des membres de tenir un nouveau congrès à la direction.

Peu importe la formule, Thomas Mulcair doit obtenir son ticket pour continuer. C'est pourquoi il parcourt des milliers de kilomètres à travers le pays depuis le 19 octobre pour rencontrer les candidats défaits, les députés battus et les groupes proches du NPD.

« Les gens sont tristes, mais je n'ai rencontré personne en colère », dit-il, ayant bon espoir de garder son poste.

THOMAS MULCAIR SUR...

Le « style Trudeau » 

« Les selfies, moi, vous savez... Moi, j'ai l'habitude de travailler à fond mes dossiers. Avec Justin, on commence à voir qu'on est plus dans la forme que dans le fond. »

Ses priorités

« Ma première responsabilité, c'est de lutter contre les inégalités, et la plus grave inégalité, c'est celle entre les générations, celle qui touche les plus jeunes, qui sortent de l'université avec de lourdes dettes et qui doivent payer très cher la garderie de leurs enfants. »

Le projet de NPD-Québec

« Le nom est toujours réservé et il y a de l'intérêt chez nos membres, mais moi, je ne vais pas diviser mes énergies, je n'ai pas le temps de m'occuper de ça, j'ai trop de choses à faire à Ottawa. De toute façon, si ça se fait, ce sera une entité indépendante du NPD fédéral. »

Sa nouvelle notoriété

« La bonne chose avec la dernière campagne, c'est que maintenant, je suis connu partout au Canada. J'étais à Toronto, cette semaine, je marchais vers mon hôtel, et un homme dans un gros VUS Mercedes s'est arrêté à ma hauteur et m'a dit : "Heille, c'est bon, ça, tu restes simple, tu marches comme tout le monde, pas de limousine. J'aime ça !" »