La Commission de vérité et réconciliation sur les pensionnats autochtones, qui a rendu son rapport public mardi, a fait un travail nécessaire en vue d'une difficile guérison des victimes et de leurs survivants, mais son propre nom porte un malaise et est quelque peu trompeur.

« Vérité et réconciliation », c'est le nom donné en Afrique du Sud, au début des années 90, au processus qui a mis fin à l'apartheid en restaurant les droits fondamentaux des Noirs. C'est aussi le processus qui a permis aux Noirs, majoritaires dans ce pays, de prendre la place qui leur revenait à la tête des institutions politiques d'Afrique du Sud. Pour Nelson Mandela et les siens, après la vérité et la réconciliation, il y a donc eu réparation. Quelle réparation les autochtones du Canada, formant une minorité bafouée, ignorée et méprisée depuis des siècles, peuvent-ils espérer, maintenant qu'un autre rapport vient démontrer qu'ils ont été victimes des pires traitements ? Il faudra, pour qu'on puisse parler véritablement de réconciliation, plus que des intentions et de belles cérémonies.

Les Premières Nations ont eu droit à des excuses, mardi, de la part du premier ministre Trudeau, en plus d'un engagement à respecter les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation. C'est déjà ça.

En outre, M. Trudeau s'est personnellement engagé à rebâtir les ponts avec les Premières Nations sur la base de relations d'« égal à égal » et il a donné suite à sa promesse de lancer une commission d'enquête sur la disparition et le meurtre de femmes autochtones.

On parle beaucoup des réfugiés syriens depuis quelques semaines, mais le fait est que depuis que Justin Trudeau est devenu officiellement premier ministre, le 4 novembre, aucun groupe n'a eu autant d'attention que les autochtones de la part du nouveau gouvernement. La volonté politique est là, reste à la concrétiser en gestes et en moyens.

Ce que nous dit la Commission de vérité et réconciliation, on le savait déjà : enfants autochtones arrachés de force à leur famille, assimilation et acculturation, endoctrinement, mauvais traitements et négligence entraînant parfois la mort. La Commission n'a pas hésité à utiliser le mot « génocide », un mot d'une gravité extrême, comme l'avait fait l'an dernier la juge en chef de la Cour suprême, Beverley McLachlin.

Depuis des années, nous entendons des témoignages tous plus troublants les uns que les autres sur le sort pitoyable réservé à des dizaines de milliers d'enfants dans ces infâmes pensionnats, dont le dernier a fermé ses portes il y a moins de 20 ans.

Témoignage poignant, notamment, de Romeo Saganash, en 2013. « J'ai l'air de quelqu'un de normal, mais non, je ne serai jamais normal et aucun enfant qui a été envoyé au pensionnat ne peut prétendre aujourd'hui être normal, c'est impossible », avait dit le député du NPD devant la Commission.

Il ajoutait, en retenant difficilement ses larmes, que sa mère avait mis 40 ans à trouver l'endroit où un de ses fils avait été enterré, sans certificat de décès, après être mort dans l'un de ces pensionnats. Romeo Saganash a lui-même passé 10 ans dans un pensionnat de La Tuque.

Si vous avez les yeux secs en visionnant ce témoignage, faites-vous greffer des glandes lacrymales.

Que nous connaissions, depuis des décennies, ces histoires ne devrait pas nous inciter (encore une fois) à ignorer le problème et à pousser nos responsabilités sous le tapis. Idem pour la suite de suicides d'enfants innus, qualifiée d'épidémie par une coroner qui enquête au Nunavut. Idem pour la violence endémique dont sont victimes les femmes autochtones.

À propos des pensionnats autochtones, voici un extrait du rapport : « Les chefs des Églises et du gouvernement avaient conclu qu'il était possible de résoudre le problème de l'indépendance et de la sauvagerie des autochtones en enlevant de leur famille les très jeunes enfants et en les envoyant passer huit ou neuf ans dans un pensionnat, loin de chez eux, où on leur inculquerait les murs de la société dominante. [...] On leur interdisait de parler la seule langue qu'ils connaissaient et on leur enseignait à mépriser leur famille, leur héritage et, par extension, leur propre identité. La plupart de ces enfants ont été privés de soins, d'autres ont été maltraités. Quelques rares intervenants nous ont dit avoir apprécié ces écoles, mais la majorité nous ont parlé des cicatrices profondes qui les avaient marqués et qui avaient détruit en eux la capacité d'aimer et d'être aimés. »

Non, il ne s'agit pas du rapport de Vérité et réconciliation, mais de celui de la commission Erasmus-Dussault, publié en 1996. On y disait aussi que l'espérance de vie des autochtones était moindre, que les maladies étaient plus répandues au sein de leurs communautés, que la violence familiale et l'alcoolisme y étaient plus répandus, que moins de jeunes achevaient leurs études secondaires, qu'une minorité d'entre eux entraient au collège ou à l'université, que les logements des autochtones étaient plus souvent mal construits, insalubres et surpeuplés, que les systèmes de distribution d'eau et d'égouts des collectivités autochtones laissaient plus souvent à désirer, qu'un plus grand nombre d'entre eux se retrouvent dans les prisons, etc.

Il y a 94 recommandations dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation. Je suggère d'en ajouter une : mettre sur pied un comité indépendant chargé de faire le suivi, une fois par année, de la mise en oeuvre des recommandations et des changements devant améliorer le sort des communautés autochtones.

Nous nous préoccupons beaucoup, ces temps-ci, de mort dans la dignité et de l'accueil de réfugiés syriens. C'est bien, mais il est plus que temps que nous cessions d'afficher notre indifférence devant nos réfugiés intérieurs qui meurent dans l'indignité.