À première vue, le Front national (FN) a subi une cuisante dégelée au second tour des élections régionales françaises, dimanche.

Les deux régions qui semblaient à portée de main après le premier tour ont échappé aux deux vedettes du FN, Marine Le Pen et sa nièce Marion Maréchal-Le Pen. La perspective de voir le parti d'extrême droite percer un nouveau plafond de verre a provoqué un réflexe de « barrage » chez les candidats et électeurs de gauche - qui ont voté contre leurs convictions profondes dans l'unique but de bloquer le FN.

Mais attendez un peu avant de sabler le champagne. Car globalement, ce vote a permis au Front national d'améliorer sa performance générale et d'établir de nouveaux records. Ainsi, le parti a recueilli 6,8 millions de voix, un record absolu depuis sa fondation, en 1972. C'est 800 000 voix de plus qu'au premier tour. Et c'est 400 000 voix de plus que le record précédent, établi lors de la présidentielle de 2012.

Ce n'est pas tout. Le parti de Marine Le Pen a également réussi à tripler son nombre de conseillers régionaux, qui ont décroché 358 des 1910 postes à pourvoir. Enfin, le FN a franchi la barre de 40 % dans 14 départements et s'impose de plus en plus comme un parti national, présent dans toutes les régions de la France et particulièrement populaire chez les jeunes électeurs.

Ce succès témoigne d'un « travail d'implantation locale que les autres grands partis ont négligé », souligne Fabien Desage, professeur invité au département de sciences politiques de l'Université de Montréal. Grâce à cette présence locale, poursuit cet analyste affilié à l'Université de Lille, le FN pourra renforcer son réseau militant dans les régions.

Les élections de dimanche « renforcent la dynamique du Front national », renchérit Laurie Beaudonnet, de la chaire Jean Monnet à l'Université de Montréal.

Et ce, d'autant plus que la stratégie du barrage permet aux candidats du FN de surfer sur un discours efficace et bien rodé : celui qui le présente comme victime des élites, gauche et droite réunies. « On a mené contre nous une campagne de haine », se plaignait hier le vice-président du parti, Florian Philippot.

Bien sûr, si le FN avait réussi à rafler une des grandes régions de France, il aurait établi un précédent et accompli un pas de géant. Mais les élections de dimanche confirment sa progression auprès de l'électorat français. 

« De plus en plus, il se positionne comme la seule alternative politique offrant un vrai changement politique aux Français », dit Laurie Beaudonnet.

Bien sûr, avec ses deux députés à l'Assemblée nationale, le FN est encore bien loin de pouvoir espérer former un gouvernement. Et le sort de la prochaine présidentielle est loin d'être joué. Mais quand l'un de ses deux députés, Gilbert Collard, a parlé hier de « défaite victorieuse », il n'était pas très loin de la réalité.

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Autre pays, autre scrutin. On a fait grand cas de l'élection d'une vingtaine de femmes aux municipales qui avaient lieu dimanche en Arabie saoudite.

C'est bel et bien un précédent. Mais ici aussi, il n'y a pas vraiment de quoi célébrer. Juste pour vous dire : les candidates qui ont brigué les suffrages n'avaient pas le droit d'apparaître sur des affiches électorales. Elles n'avaient pas non plus le droit de parler avec des électeurs masculins !

En fait, le vote de dimanche constitue d'abord et avant tout un exercice de charme auprès de l'Occident, estime Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient à l'Université d'Ottawa.

Même si les conseils municipaux jouissent d'un pouvoir extrêmement limité en Arabie saoudite, l'ancien roi Abdallah s'était réellement engagé dans une micro-réforme démocratique. Son successeur, le roi Salmane, a mis un frein à ces minuscules avancées dès son arrivée au pouvoir, il y a un an.

Pire : sous sa gouverne, l'Arabie saoudite a carrément rétropédalé, accentuant la répression, faisant taire les voix d'opposition et multipliant les décapitations.

« De façon générale, les droits des femmes ont décliné depuis un an », constate Thomas Juneau. Bref, les municipales de dimanche n'étaient qu'un exercice démocratique de façade dans un pays où tous les droits sont en recul. Une opération cosmétique visant à amadouer les voix critiques en Occident.