Ce qui était impensable il y a tout juste quatre ans est en train de devenir tout à fait envisageable. L'idée que la leader du Front national (FN), Marine Le Pen, puisse accéder à la présidence de la France fait maintenant partie des scénarios plausibles, dans un horizon aussi rapproché que l'élection de 2017.

D'un scrutin à l'autre, le FN défonce tous ses plafonds de verre, constate le politologue français Bruno Cautrès, au lendemain d'un premier tour d'élections régionales qui a laissé les partis traditionnels, à droite comme à gauche, avec une puissante gueule de bois.

Cette montée se poursuit inexorablement depuis 2012, alors que Marine Le Pen avait obtenu 18 % des voix au premier tour de la présidentielle. Deux ans plus tard, le FN ratisse large aux élections municipales et départementales. Et réussit une percée sans précédent en faisant élire 24 députés aux élections européennes.

Le vote de dimanche lui permet de défricher de nouveaux territoires. Pour la première fois de son existence, il a des chances de remporter des élections régionales, notamment dans les deux régions où Marine Le Pen et sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, ont dépassé la barre des 40 % des voix.

Au total, le FN mène dans 6 des 13 régions administratives. Ça ne veut pas dire qu'il va toutes les remporter au second tour, dimanche prochain. Si les électeurs socialistes se rabattent massivement sur le parti Les Républicains de Nicolas Sarkozy, la vague noire pourrait éventuellement être freinée. Mais déjà, on peut dire que la base électorale du FN se renforce un peu partout en France.

Globalement, la dynamique politique actuelle est favorable au FN et à sa chef, constate Bruno Cautrès. « Les électeurs se disent : "On a essayé François Hollande, on a essayé Nicolas Sarkozy, ça ne fonctionne pas, c'est le temps de donner une chance à Marine Le Pen" », explique Bruno Cautrès.

Cet analyste affilié au Centre de recherches politiques de Sciences Po, à Paris, ne voit pas comment la droite et la gauche classiques pourraient stopper ce phénomène, dans l'état actuel des choses.

« Marine Le Pen présidente ? Ça commence à être concevable », dit-il.

Ne serait-ce que pour cela, ce premier tour de manivelle électorale mérite pleinement d'avoir été qualifié d'historique. Mais il y a d'autres raisons. Ce vote confirme la position du Front national comme principale force d'opposition en France. Il cimente la place de l'extrême droite dans le paysage politique français et signe la fin d'une longue tradition de bipartisme. Autre avancée : le FN a obtenu plus de 30 % des votes chez les plus jeunes électeurs. Signe que sa popularité pourrait être là pour de bon.

Comment la France en est-elle arrivée là ? « La droite classique a payé le prix de son absence complète de clarté », résume Nicolas Lebourg, spécialiste de l'extrême droite française.

Quand Les Républicains de l'ex-président Nicolas Sarkozy essaient de doubler le FN sur sa droite, ils donnent raison aux idées de Marine Le Pen. Quand ils naviguent trop au centre, ils perdent une partie de leur électorat traditionnel - celle qui est la plus inquiète par rapport à la situation économique et aux défis de l'immigration. Dans les deux cas, la droite classique perd.

Les socialistes, eux, paient pour le bilan décevant - c'est un euphémisme - du règne de François Hollande. Celui-ci a lamentablement échoué à réaliser sa principale promesse : stopper le chômage endémique qui dévaste la France.

Aujourd'hui, le pays compte 700 000 chômeurs de plus qu'au moment où il a été élu, en 2012. À Calais, où Marine Le Pen est en voie de remporter les régionales, le taux de chômage atteint 15 % !

L'économie qui stagne, les emplois qui manquent, le modèle français qui s'effrite, les impôts qui étranglent les classes moyennes : le cul-de-sac économique est l'une des deux grandes raisons qui expliquent le succès du FN, qui ne se gêne pas pour jouer la carte de la protection des plus démunis.

La deuxième raison, c'est l'insécurité face à l'immigration - sentiment qui a été exacerbé par les attentats contre Charlie Hebdo, en janvier, puis ceux du 13 novembre.

« Ces évènements semblent conforter le discours de Marine Le Pen », déplore Bruno Cautrès. En d'autres mots : chaque fois qu'un terroriste frappe au coeur de la France, des électeurs se disent que le FN a bien raison de vouloir stopper l'immigration. Et Marine Le Pen ne se gêne pas pour en tirer profit avec un discours de type : « On vous l'avait bien dit... »

Quand le gouvernement socialiste rétablit les contrôles aux frontières, dans la foulée des attentats, c'est encore le FN, qui prône la politique de la frontière fermée depuis longtemps, qui en récolte les bénéfices politiques.

Un troisième facteur favorise la montée du Front national, selon Bruno Cautrès : c'est l'opération de charme menée de main de maître par Marine Le Pen, qui a réussi son pari de « dédiaboliser » l'image du parti. Ce qui n'empêche pas celui-ci de continuer à surfer sur un discours xénophobe attisant le rejet de l'étranger...