Je me souviens de l'ambiance à Copenhague, en 2009, au beau milieu de la Conférence sur le climat. Le ciel était gris, la mine des négociateurs l'était aussi. Comme s'ils voyaient venir l'échec à grande vitesse, mais sans trouver le frein.À Paris, on n'en est pas là du tout.

Bien sûr, en entrant au Bourget, on croit être dans une conférence sur le climat comme une autre. On porte les mêmes badges. On travaille au côté des mêmes journalistes. On croise les mêmes délégations.

Mais il ne faut pas se fier aux habituels sourcils froncés des négociateurs (une posture obligée, je crois). Car pour une rare fois, l'optimisme est de rigueur en entrant dans la dernière ligne droite.

« Je n'ai jamais vu une COP [Conference of Parties] aussi studieuse et aussi bien organisée », constate Hugo Séguin, fellow au CERIUM de l'Université de Montréal et grand habitué de ces conférences, auxquelles il assiste depuis 12 ans.

« On a réussi à cerner les zones de divergence une semaine avant la fin de la conférence. On peut donc désormais discuter des éléments de fond. Chapeau à la présidence française ! »

Cet optimisme, il étonne dès l'entrée sur le site. On sent tout de suite que l'ambiance est différente. Mais il y a une chose qui frappe davantage, une chose plus différente encore des conférences précédentes : le Monde.

Pas le monde dans les couloirs, le Monde avec un M majuscule.

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J'en suis à ma sixième conférence sur le climat. J'ai fait Nairobi. J'ai fait Bali, Poznan. J'ai fait Montréal aussi, moins exotique, mais plus réussie que bien des COP.

À l'époque, les choses étaient plutôt simples. Il y avait le Nord et il y avait le Sud. Les pays riches et les pays pauvres. Les pollueurs et les pollués. Bref, il y avait des coupables et des victimes.

On n'est plus là.

La Chine est le premier compétiteur du premier pays industrialisé. Le Brésil n'est plus en émergence, il a émergé. L'Inde fait partie du top 3 des pires pollueurs. Et il y a des pays du Sud plus riches que certains pays du Nord.

Ce que l'on voyait apparaître à Copenhague, alors qu'Obama et ses homologues s'agenouillaient devant le premier ministre chinois Wen Jiabao, est maintenant réalité : un nouvel ordre mondial s'est installé. Et avec lui, bien des complexités.

Le bouleversement géopolitique est tel qu'on doit aujourd'hui insérer une nouvelle catégorie entre riches et pauvres dans le texte de négociation : les pays « en position de faire » un effort...

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Le point d'achoppement de la COP21, il est là. Dans cet élargissement du groupe d'États qui doivent réduire leurs émissions de gaz à effet de serre... et aider financièrement ceux qui en sont victimes.

Mais qui sont ces pays « en position de » ? Où tracer la ligne ?

« C'est la plus délicate des questions, confirme Hugo Séguin, qui enseigne à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke. Surtout qu'on ne sait pas ce qui s'en vient, donc on ne veut pas figer la réalité de 2015. Il faut laisser place à une certaine flexibilité quant aux bouleversements économiques des prochaines décennies. Pas simple. »

Ça fait déjà quatre ans que les pays tentent d'aplanir leurs différends, depuis la conférence de Durban, en fait. Plusieurs points ont été réglés en cours de route, particulièrement ces derniers jours à Paris, où l'on a réussi à réduire le projet d'accord de 55 à 48 pages.

Mais toutes les questions importantes demeurent en suspens. En bonne partie en raison de cette redistribution planétaire des responsabilités... et surtout, surtout, de ce que ça implique financièrement.

Car la question principale à régler est celle-ci : qui paye quoi à qui ?

Certains doivent sortir le chéquier; d'autres, profiter du chèque. Mais où mettre la Chine, sachant qu'elle n'est pas responsable du dérèglement climatique ? Où mettre les grands pollueurs comme le Brésil et l'Inde, qui n'ont pas profité de l'industrialisation ? Et où mettre les pays du Golfe, qui ne veulent rien savoir de payer une pénalité à qui que ce soit ? Au contraire, ils exigent d'obtenir réparation ou une indemnisation pour le déclin à venir du pétrole !

De quoi froncer encore un peu plus les sourcils des négociateurs...