« Personne ne va manquer de travail parce que les infirmières jouent un rôle accru. »- Lucie Tremblay, présidente de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ)Le discours ambiant prône l'interdisciplinarité entre les professionnels de la santé, mais la réalité se bute encore aux chasses gardées.

Sachant que l'une des principales critiques envers le système de santé est liée à la difficulté pour les patients d'avoir accès à des soins, pourquoi est-on si réticent à faire plus de place aux infirmières ?

La volonté semble pourtant au rendez-vous. Après avoir annoncé qu'elles auront un certain droit de prescription - nous y reviendrons dans un prochain texte -, le ministre Gaétan Barrette a réitéré cette semaine, au congrès de l'OIIQ, son intention de leur donner plus d'autonomie et de pouvoirs.

Les médecins y sont généralement favorables. Mais il n'y a pas unanimité sur les « pouvoirs ». Demander à des infirmières auxiliaires ou techniciennes d'exécuter certaines tâches ? Aucun problème. Déléguer des responsabilités à des infirmières cliniciennes ou praticiennes spécialisées formées en ce sens ? Moins sûr.

Dans une société vieillissante où le tiers de la population souffre d'une maladie chronique, la pression est énorme sur le système de santé. Est-il absolument nécessaire que le médecin fasse le suivi d'un patient diabétique dont l'état de santé est stable, quand une infirmière pourrait le faire et lui permettrait alors de se consacrer aux cas urgents et complexes ?

Dans ce contexte, pas étonnant que certains flairent la bonne occasion : la création de cliniques privées en soins infirmiers suscite ainsi le débat ces jours-ci. Des infirmières préconisent aussi la pratique solo, mais dans le public. Après tout, les cliniques sans médecin en Ontario ont fait leurs preuves. 

À Québec, l'expérience-pilote de la clinique Sabsa, une coopérative destinée à une clientèle vulnérable atteinte de VIH ou d'hépatite C, a aussi des effets positifs : 95 % des cas ont été traités par une infirmière praticienne spécialisée. Mais le gouvernement ferme la porte. Il refuse de développer un réseau parallèle et mise plutôt sur les groupes de médecine de famille (GMF), érigés sur le principe de l'interdisciplinarité.

Dans ce cas, il est temps de forcer le changement de culture, long à s'implanter de lui-même. La rémunération des médecins - payés à l'acte - ne les encourage pas à déléguer les cas « faciles » aux infirmières. Il faut se questionner sur le mode de financement actuel des GMF. Et miser davantage sur « l'accès adapté » (réserver des plages horaires quotidiennes pour voir les cas urgents au lieu de planifier des rendez-vous de suivi des mois d'avance), obligeant du fait même les médecins à référer davantage aux infirmières.

Il faut en arriver à ce que les infirmières et les médecins collaborent au bénéfice des patients, et non pas que les premières travaillent pour les seconds.