De la mi-août à la mi-novembre 2014, le monde découvre avec stupeur un phénomène terrifiant: des djihadistes radicaux qui se réclament du groupe État islamique décapitent, à quelques semaines d'intervalle, plusieurs otages occidentaux.

Parmi les victimes, on retrouve les journalistes James Foley et Steven Sotloff, le guide de montagne Hervé Gourdel, le travailleur humanitaire Peter Kassig...

Leurs assassins se font du capital politique en faisant circuler les vidéos de leurs exécutions. Images qui provoquent une vague de répulsion, particulièrement chez les musulmans qui s'en dissocient en brandissant le mot-clic #NotInMyName sur les réseaux sociaux.

L'EI n'est pas l'islam, nous refusons que l'on assassine en notre nom, crient-ils par centaines de milliers.

Plus que les assassinats eux-mêmes, c'est cette réaction collective qui a incité le philosophe français Abdennour Bidar à lancer un cri du coeur aux musulmans du monde entier. Cri du coeur qui prendra la forme d'un livre intitulé: Lettre ouverte au monde musulman.

La campagne #NotInMyName, c'est bien, y affirme-t-il, mais ce n'est pas assez. Ce dont l'islam a désespérément besoin, c'est de se regarder dans le miroir pour comprendre pourquoi de telles horreurs sont commises systématiquement en son nom.

«Pourquoi ce monstre t'a-t-il volé ton visage? Pourquoi ce monstre ignoble a-t-il choisi ton visage et pas un autre?», demande-t-il dans son pamphlet d'une soixantaine de pages.

«La campagne NotInMyName était nécessaire, mais elle était insuffisante, et risquait de devenir improductive en donnant aux musulmans l'illusion qu'ils avaient fait ce qu'il y avait à faire, et qu'ils pouvaient ajourner leur autocritique de l'islam», résume Abdennour Bidar qui était de passage à Montréal la semaine dernière, pour une conférence donnée dans le cadre de Festival du monde arabe.

Avec tous les «mauvais signaux» envoyés par le monde musulman aujourd'hui, souligne Abdennour Bidar, «il ne suffit pas de répéter qu'il ne faut pas faire l'amalgame entre islam et islamisme pour convaincre tout le monde que l'islam est une religion de paix».

Que faut-il faire alors? «Critiquer la religion musulmane non pas dans sa dimension spirituelle, mais comme système religieux.» Un système qui a opté pour les interprétations les plus rigoristes des textes sacrés. Et qui s'est assis sur le dogme de la soumission à Dieu - principe qui relève d'une lecture pervertie du Coran et qui limite la capacité critique des croyants, selon Abdennour Bidar.

Lui-même musulman, né d'une mère catholique convertie à l'islam, il croit disposer de la distance, mais aussi de la légitimité nécessaires pour critiquer une religion à laquelle il reproche d'avoir «trahi ses idéaux».

«Je critique la culture, la tradition et la religion musulmanes avec un pied dedans et un pied dehors», résume-t-il.

Contrairement à d'autres religions, l'islam a fait jusqu'à maintenant l'économie d'une remise en question, et il aurait besoin de «secouer le cocotier» pour s'adapter à la modernité, quitte à remettre en question quelques versets particulièrement violents du Coran.

La démocratie, l'égalité des sexes, la liberté de conscience ne sont pas incompatibles avec l'islam, selon le philosophe - encore faudrait-il que l'ensemble des musulmans le sachent...

Face à cet islam enfermé dans son passé, on trouve un Occident «en panne», dont les valeurs diluées ont perdu leur pouvoir d'attraction. Ce sont, aux yeux d'Abdennour Bidar, les deux faces d'une même médaille. Et c'est ce vide qui pousse certains musulmans occidentaux à se réfugier dans l'extrémisme.

Comment le message du philosophe musulman, qui est membre de l'Observatoire français de la laïcité et qui s'oppose à la présence du voile intégral dans l'espace public, notamment, est-il perçu chez les croyants?

Il y a ceux qui lui sont reconnaissants de formuler tout haut ce qu'ils pensent tout bas. Il y a ceux qui acceptent de débattre avec lui. Et puis, évidemment, il y a ceux qui refusent toute discussion et rejettent en bloc ses critiques.

Abdennour Bidar est convaincu qu'il y a chez les musulmans une soif pour une lecture dépoussiérée de l'islam. Mais qu'elle exige de reconnaître que le «monstre» de l'EI, et des autres avatars de l'islamisme extrême, est sorti des tripes mêmes de l'islam.