C'est un tremblement de terre qui risque de produire des ondes de choc relativement modestes. En abolissant la politique de l'enfant unique, en vigueur depuis 35 ans, la Chine met fin à ce que l'on a décrit comme l'expérience démographique la plus spectaculaire de l'histoire moderne. C'est un moment charnière, sur les plans politique et symbolique. Mais l'impact réel de ce virage est plus qu'incertain.

Cette limitation des naissances a été imposée en 1980, après des années de croissance démographique effrénée. Durant le règne de Mao Tsé-toung, de 1949 jusqu'à sa mort en 1976, la population de la Chine a presque doublé, pour atteindre 950 millions.

Pour freiner cette explosion, le gouvernement chinois a imposé une limite stricte d'un seul enfant par femme. Politique qui a donné lieu aux dérapages et excès de zèle que l'on sait: amendes salées, mais aussi avortements forcés, stérilisations massives, etc. Autre effet secondaire imprévu: l'abandon massif de fillettes, et même une vague de «féminicides», dans une culture où les garçons représentent un atout économique et les filles, un poids à porter.

La politique a été efficace: selon les statistiques officielles chinoises, elle a permis de prévenir la naissance de quelque 400 millions d'enfants. La courbe démographique du pays a fléchi. Mais les grands sorciers de la démographie n'avaient pas pensé à tout. Certains effets de leur politique ont échappé à leur clairvoyance.

Notamment le vieillissement de la population qu'elle entraînerait et les défis que cela poserait à l'économie du pays. Aujourd'hui, la Chine compte cinq citoyens en âge de travailler par retraité. En 2030, alors que le pays pourrait compter la population proportionnellement la plus âgée de la planète, le ratio passera à deux travailleurs par retraité. Méchant casse-tête de finances publiques à l'horizon.

Récemment, les autorités chinoises ont commencé à assouplir la politique antinataliste et à entrouvrir la porte aux familles de deux enfants. D'abord pour les minorités ethniques et les collectivités rurales. Depuis 2013, les parents qui sont eux-mêmes enfants uniques ont l'autorisation de procréer deux fois. Mais surprise: jusqu'à maintenant, cette possibilité n'a pas soulevé un grand enthousiasme. À peine 12% des couples admissibles s'en sont prévalus.

Et c'est bien là le paradoxe de cette nouvelle politique, annoncée dans la dernière édition du plan quinquennal chinois. Si la Chine avait ouvert la porte aux familles de deux enfants il y a 20 ans, cela aurait probablement conduit à un baby-boom, croit Jeff Wasserstrom, spécialiste de la Chine à l'Université de Californie à Irvine. «Mais après 35 ans de politique d'enfant unique, beaucoup de gens ont ajusté leurs attentes.»

Bref, la famille d'un enfant, ou sans enfant, est devenue la norme sociale. D'autant que le pays a changé, pendant ces trois décennies. Et qu'une partie de la population a adopté le mode de vie des pays développés, qui retardent la venue des enfants et réduisent la taille des familles. Le taux de natalité de la Chine est de 1,7 enfant par femme. Mais dans une ville comme Shanghai, c'est 0,7 enfant par femme. Un niveau famélique.

Au fil des ans, l'État communiste a aussi transféré de plus en plus de dépenses aux familles, souligne Jeff Wasserstrom. Les dépenses liées à l'éducation des enfants, par exemple. Les appartements coûtent cher aussi. Pour les jeunes parents, un enfant entraîne des frais. Et la plupart ne sont pas prêts à payer le prix, du moins pas aujourd'hui. Les incitatifs sociaux ne sont pas assez forts pour ça.

Un sondage effectué le jour de l'annonce de la politique de «deux enfants» montre qu'à peine 33% des couples ont l'intention de s'en prévaloir. Alors que 38% prévoient passer leur tour.

L'annonce de ce virage a d'ailleurs suscité un enthousiasme mitigé dans les réseaux sociaux chinois, où le sujet s'est retrouvé en huitième position, jeudi. Il faut dire que la révolution démographique n'est que quantitative. Et que le principe de l'État qui délivre des permis de procréer, lui, n'a pas été ébranlé.

Les autorités chinoises espèrent que l'abolition de la politique de l'enfant unique se traduira par 2,5 millions de naissances supplémentaires par année. C'est loin d'être acquis. Car il faudra plus que le message diffusé sur Twitter par le Comité national de la santé et de la planification familiale - «Il faut répéter trois fois cette information importante: Deux enfants! Deux enfants! Deux enfants!» - pour inverser l'impact des restrictions imposées à presque deux générations de Chinois.

En d'autres mots: c'est trop peu, trop tard pour espérer un changement rapide et radical.