C'est un peu comme les élections canadiennes, mais à l'envers. Les électeurs polonais ont montré la porte, dimanche, au parti libéral qui les dirigeait depuis huit ans. Pour voter massivement en faveur d'un parti de droite, eurosceptique, ultra catholique, populiste et anti-immigration.

Si les premiers résultats disponibles hier se confirment, ces élections marqueront un double précédent dans l'histoire de la Pologne postcommuniste. Pour la première fois depuis 1989, le Parlement polonais ne comptera pas un seul député de gauche. Pour la première fois, le parti gagnant, Droit et Justice, aura remporté une majorité de sièges et n'aura donc besoin d'aucune alliance pour gouverner.

Ce virage ne résulte pas d'un sursaut accidentel. Ce même parti a déjà remporté la présidentielle de mai dernier. Dimanche, une majorité claire d'électeurs ont confirmé cette rupture avec le statu quo en poussant la Pologne brutalement vers la droite.

Pourtant, leur pays, l'un des rares à avoir échappé à la crise de 2008, se dirige vers une nouvelle année de croissance économique, et les sondages démontrent qu'une vaste majorité de Polonais sont plutôt satisfaits de leur sort.

«C'est vrai que ça peut sembler paradoxal», reconnaît l'analyste polonais Aleksander Smolar, joint hier à Varsovie. Pourquoi donc des électeurs globalement satisfaits, citoyens d'un pays décrit comme la success story économique de l'Europe et dont le taux de chômage a reflué sous les deux chiffres, voteraient-ils pour un parti qui veut tout chambarder?

D'abord, parce qu'ils étaient fatigués d'un gouvernement perçu comme élitiste, arrogant, loin des préoccupations des gens, note Aleksander Smolar. À preuve: un scandale d'enregistrements secrets, effectués dans des restaurants chics de la capitale, et où l'on peut entendre des dirigeants s'exprimer avec une vulgarité sans nom au-dessus de mets hors de prix.

En juin dernier, ce «waitergate» a provoqué la démission de trois ministres et du président du Parlement, ce dernier ayant été entendu comparant la relation entre Varsovie et Washington à une fellation...

Mais il y a plus que ce simple mouvement de balancier politique, sur fond de scandales. Il y a aussi le fait qu'une partie de la population, loin de la capitale, n'a pas l'impression d'avoir reçu sa part du «miracle» économique polonais. Ce sont les 30% de Polonais vivant sous le seuil de la pauvreté, ce sont les travailleurs qui ont décroché des emplois de plus en plus précaires ou les jeunes qui sont partis à l'étranger parce qu'ils ne trouvaient pas d'emplois rémunérateurs chez eux.

«En termes de PIB, la Pologne s'est enrichie, mais beaucoup de Polonais se sont appauvris», constate l'économiste Kazimierz Kik, dans le Washington Post.

Et puis, depuis l'ouverture des frontières occidentales, les Polonais ne comparent plus leur niveau de vie à celui d'il y a 20 ou 25 ans, mais plutôt à celui des pays voisins. «Ils se demandent pourquoi ils ne vivent pas comme à Berlin, Paris ou Stockholm. C'est une source de frustration et ça crée de l'impatience, surtout chez les jeunes», dit Aleksander Smolar.

Des jeunes qui ne se souviennent pas des deux années de règne de Droit et Justice, de 2005 à 2007, alors que ce parti avait atteint des sommets de populisme sous la direction des frères jumeaux Lech et Jaroslaw Kaczynski. (Le premier occupait le poste de président quand il est mort dans un accident d'avion à Smolensk, en Russie.)

Aleksander Smolar attribue aussi le virage brutal de dimanche à un repli général vers des valeurs communes, après une décennie de course effrénée au succès individuel.

L'analyste, qui préside l'institut pro-démocratique Stefan Batory, prend garde de ne pas diaboliser les prochains dirigeants de la Pologne. Contrairement à Adam Michnik, directeur du journal Gazeta Wyborcza, qui avertit qu'ils «veulent mettre en place un modèle d'État différent des démocraties occidentales classiques, un système qui marginaliserait les institutions légales».

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De quel bois se chauffe donc Droit et Justice? Dirigé par Jaroslaw Kaczynski, ce parti met de l'avant une figure moins controversée, Beata Szydlo, pour le poste de première ministre.

Il n'en souhaite pas moins réformer la Constitution de manière à concentrer plus de pouvoirs entre les mains du président et réduire ceux des tribunaux et du Parlement. Il s'inspire ainsi de son modèle, le premier ministre hongrois Viktor Orbán... Mais il est loin d'être évident que sa majorité sera suffisante pour opérer cette révolution.

Le parti est opposé à l'adhésion à la zone euro, il veut baisser les impôts, augmenter les allocations familiales, imposer un salaire minimal - actuellement inexistant.

Socialement conservateur, il veut interdire la fécondation in vitro et restreindre encore davantage l'une des législations les plus anti-avortement en Europe.

C'est aussi un parti farouchement opposé à l'idée d'ouvrir les frontières de la Pologne aux réfugiés. Pour toutes sortes de raisons, y compris... hygiéniques. Son président Jaroslaw Kaczynski a déjà reproché aux réfugiés d'être des vecteurs de «choléra, de dysenterie et de toutes sortes de parasites qui, chez ces gens, peuvent être inoffensifs, mais qui peuvent être dangereux pour les populations locales».

Les analystes polonais estiment que cet homme, même s'il n'a pas été élu, tirera les véritables ficelles du pouvoir en Pologne. Ça promet.