Avouons-le, c'est une bonne chose d'avoir un député au sein du parti au pouvoir. Mais avoir un député qui dirige ce même parti, ça, c'est carrément le gros lot!

Les électeurs de Papineau le savent bien. Justin Trudeau a beau avoir joué les modestes en se pointant dans le métro le lendemain de sa victoire, les électeurs sont conscients qu'ils n'ont plus qu'un simple député.

Ils ont un premier ministre. Qui leur promet loyauté.

«Quelle que soit la suite, a dit Justin Trudeau lors de son investiture, l'an dernier, le titre qui est pour moi le plus précieux est celui de député de Papineau.»

Et il n'y a rien de rhétorique là-dedans. Parlez-en aux électeurs de Shawinigan et de Baie-Comeau, qui ont eu droit à la «loyauté» de leurs «premiers députés» respectifs, MM. Chrétien et Mulroney.

Mais cette fois, pas besoin d'une subvention pour auberge huppée. Pas besoin d'une prison. Pas besoin d'un musée ou d'une base militaire.

Ce dont Papineau a besoin, c'est d'amour...

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Papineau, c'est la piste d'atterrissage de Montréal. Les immigrants arrivent à Dorval, mais ils atterrissent dans Parc-Extension et, aussi, dans Saint-Michel. Avec les défis qu'on imagine.

«Ces deux quartiers sont parmi les plus pauvres au pays, note Anie Samson, mairesse de l'arrondissement. Disons que ça met la table pour les attentes qu'on a envers M. Trudeau. De grandes attentes...»

Les limites de la circonscription épousent celles de l'arrondissement. Pour la cerner, il faut la parcourir à pied. Et le mieux est de longer sa colonne vertébrale, la rue Jarry. De l'Acadie à Pie-IX.

On commence dans Parc-Ex, où le café Loutrakis est l'une des rares traces de la présence des Grecs, jadis maîtres du quartier. Tout autour, des boucheries halal et des restaurants indiens. Près de huit personnes sur dix ont une autre langue maternelle que le français ou l'anglais.

On passe ensuite sous le pont d'étagement depuis la rue Querbes pour atteindre le parc Jarry et le quartier Villeray. Soudainement, on tombe sur des brasseries bien québécoises, avec fleur de lys et «50» bien en évidence. La gentrification qui émane du marché Jean-Talon s'approche.

Puis on passe sous la 40 et on arrive dans Saint-Michel. On aperçoit la Cité des arts du cirque. On entend les gens parler espagnol, arabe, créole. Et on voit la pauvreté. À chaque coin de rue.

Papineau est un condensé de Montréal, avec sa cohabitation polie, ses coins ternes et ses secteurs dynamiques, ses résidants à l'aise et ses immigrants qui en arrachent...

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«Ce dont on a besoin, c'est d'un coup de pouce. Un coup de pouce financier pour réaliser des projets qui émanent des besoins du quartier.»

Jean Panet-Raymond n'attend pas de grands legs de Justin Trudeau, qu'il a peu vu dans Saint-Michel depuis 2008. Il souhaite plutôt qu'on réponde aux vrais besoins des gens pour qui il se bat depuis 1974 à titre d'organisateur communautaire.

Des gens simples aux besoins simples. Mais urgents.

«Le top de la priorité, c'est le logement social, confie-t-il. Si Justin Trudeau pouvait réengager le fédéral en augmentant ses transferts, ce serait immense. Et ce serait une belle revanche sur le budget 1994 du duo Chrétien-Martin, qui a marqué le retrait d'Ottawa dans le logement.»

Le logement, tout le monde m'en a parlé. Mais aussi l'emploi, l'accueil et l'intégration, les programmes de développement économique, le soutien aux groupes communautaires.

«Ce sont les mêmes problématiques qu'on voit ailleurs, reconnaît Camille Nolin, coordonnatrice du projet d'intervention du HLM Rousselot. Mais ici, elles sont tellement plus marquées. Je connais des familles qui vivent avec 10 000$ par année dans le quartier. Je ne sais pas comment elles font...»

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Il faut donc loger les gens de Papineau, surtout les familles. Mais il faut aussi occuper les plus jeunes, la meilleure façon de leur éviter la délinquance, les gangs de rue.

«La culture, c'est excellent pour le sentiment d'appartenance, pour l'expression et pour l'insertion. Or Stephen Harper a énormément coupé dans le Conseil des arts, si bien qu'on ne peut plus avoir de lieux de diffusion, de petites scènes, de cafés comme ici», note Jean Panet-Raymond en montrant le bistro Jarry Deuxième, qui expose des artistes en plus de favoriser l'intégration sociale.

Occuper les jeunes, les animer, les divertir. Cette phrase, je l'ai souvent entendue, même de la bouche des principaux intéressés...

«Dans mon quartier, il y a des parcs pour les moins de 5 ans, mais pour les 8-14 ans, il n'y a presque rien, m'a fait remarquer Mélodie Lhermite, jeune fille d'origine haïtienne de 13 ans. Mais quand les jeunes ne savent pas quoi faire, ils se créent des gangs de rue. C'est un problème.»

«Surtout que le quartier est terne. C'est un peu comme un désert de maisons avec des voitures», a ajouté sa soeur de 10 ans, Maëva, qui aimerait bien que Justin Trudeau s'en occupe.

Elle aimerait aussi qu'il lui permette de faire le tour du Canada, mais ça, un député ne peut lui offrir. Même s'il est premier ministre.